: Entretien avec Olivier Lopez – metteur en scène
Eldorado est écrite en allemand. Comment abordes-tu un texte traduit ? Quelle importance a pour toi la traduction de Laurent Muhleisen ?
Je ne lis pas du tout l’allemand, je n’ai travaillé que sur la traduction. J’ai d’ailleurs la sensation
de mettre en scène aussi bien l’écriture de Marius von Mayenburg que celle de Laurent
Muhleisen.
Le texte comporte un double enjeu : un premier qui appartient à son auteur, hérité de la tradition
du théâtre allemand avec ses codes de la représentation, sa façon toute politique de penser le
théâtre et un deuxième enjeu que je qualifierai de littéraire et poétique propre à notre sensibilité
française et donc forcément à son traducteur.
L’action d’Eldorado n’est pas située précisément dans le temps ou dans l’espace. Comment traites-tu dans ta mise en scène cette dimension, cette absence de données ?
Si nombre d’éléments ne sont pas précisés dans la pièce, c’est pour que le spectateur puisse
mieux se l’approprier. Pour moi, il s’agit de nous, aujourd’hui et maintenant.
C’est un des codes de la représentation. Les acteurs entrent en scène et racontent une petite
histoire, celle d’Anton, et c’est toute notre société qui se trouve racontée.
Tu parlais du mystère dans l’écriture de Mayenburg. En effet, il y a beaucoup de non-dits, et de secrets dans cette pièce. Jusqu’où as-tu une lecture précise des personnages, de ce qui leur arrive ?
Traditionnellement, lorsque nous travaillons une oeuvre, nous nous appuyons sur une
construction du personnage en terme stanislavskien.
Par exemple, dans une scène, un personnage fait une crise. Nous allons chercher les raisons de
cette crise, ses fondements dans sa biographie. Nous allons chercher ce qui a pu se passer avant
et comment les personnages en sont arrivés à cette situation. Pour ce faire nous allons puiser
dans les indices que nous aura laissés l’auteur, mais ici c’est quasiment impossible : le texte
conserve du début à la fin des ambiguïtés qui empêchent toute construction et il faut accepter
cette part d’irrationnel dans le comportement des personnages.
Aussi, j’essaie que ces scénarios que nous nous racontons forcément pour travailler ne prennent
pas trop le pas sur le véritable texte. Je souhaite garder sur scène une part d’ambiguïté. Je ne
veux pas donner une lecture qui serait figée, ne surtout pas chercher à tout élucider mais essayer
vraiment de retranscrire l’émotion que j’ai ressentie lors de ma découverte de cette pièce : j’étais
dans un rapport de désir évident de comprendre, ce désir était entretenu par l’auteur qui distillait
des informations au compte goutte et je finissais par me raconter ma propre histoire. Demandez
à deux personnes de lire Eldorado et de vous raconter la pièce, il est fort peu probable qu’ils vous
racontent la même histoire.
Il est possible de rapprocher Eldorado de faits réels, comme «l’affaire Romand», et donc également d’une autre oeuvre littéraire, L’Adversaire d’Emmanuel Carrière. Comment traites-tu cette correspondance ?
Cela fait partie des scénarios que nous pouvons nous raconter autour de la table avec les
comédiens. A aucun moment du texte il n’est clairement précisé que Mayenburg a travaillé sur
cette affaire.
Pourtant, nous pensons qu’il existe des similitudes évidentes entre l’affaire d’Anton dans
Mayenburg et l’affaire Romand. Par exemple, lorsqu’ils font semblant d’aller travailler, Anton, tout
comme le docteur Romand, se promènent dans la forêt, attendent sur des parkings, dans des
chambres d’hôtel. Pour les comédiens, c’est une biographie possible d’Anton.
Et en même temps, pour moi, il est hors de question d’en faire écho dans la mise en scène.
Marius von Mayenburg semble s’amuser à disséminer des références dans son texte. Est-il possible de deviner des correspondances avec Tchekhov ?
Il y a des similitudes en effet qui sont très étonnantes entre le texte de La Cerisaie et Eldorado.
Les deux pièces démarrent sur un emménagement et finissent sur un déménagement. Il y tout
un tas de petits détails : l’armoire, ce personnage qui s’appelle Anton (prénom peu usité), la
chambre d’enfant… Certaines scènes du texte de Mayenburg nous sont apparues quasiment
comme une réécriture de La Cerisaie. Plus généralement, la pièce de Tchekhov traite d’une
société en mouvement, d’un ancien système agonisant et de personnes inadaptées au nouveau
système. Il est possible d’avoir une lecture similaire d’Eldorado.
Depuis quelque temps, Mayenburg réécrit plus officiellement, transpose des chefs-d’oeuvre
comme Le Songe d’une nuit d’été. A mon avis, dans Eldorado, il initie ces travaux littéraires à
venir.
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