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Désertion

+ d'infos sur le texte de Pauline Sales
mise en scène Philippe Delaigue

: Entretien croisé entre Philippe Delaigue et Pauline Sales

Philippe Delaigue : Rappelle nous qu’elles étaient les règles de la commande pour Désertion?


Pauline Sales : Le genre - la comédie - le nombre et le sexe des personnages - trois hommes - et les contraintes liées à la Comédie itinérante c’est à dire, un espace simple et plutôt réduit.


Ph. D. : La commande agit sur toi comme un déclencheur ou, au contraire, elle t’inhibe ?


P. S. : Chaque commande suscite des réactions différentes et je ne réponds pas de la même manière à chacune. Ce qui est très spécifique dans le cas de Désertion, c’est que c’est la première pièce que j’écris qui est à ce point-là adressée aux acteurs et au metteur en scène, c’est d’ailleurs la première pièce que je vais dédicacer, elle a été écrite spécialement pour vous.


Ph. D. : Pour les acteurs ou les personnes ?


P. S. : Forcément pour les deux puisque je vous connais sur le plateau et dans la vie. Le fait que ce soit une comédie m’a donné une liberté et une audace que je n’aurais peut-être pas eue dans un autre genre, une possibilité d’être en empathie avec vous, d’être sévère avec vous avec amour et humour.


Ph. D. : Tu n’aimes pas forcément, m’as-tu dit, connaître les acteurs pour lesquels tu écris.


P. S. : C’est habituellement quelque chose que je redoute. J’ai du mal à envisager l’écriture d’une pièce comme une succession de rôles pour des comédiens, de me mettre en position d’offrir des partitions qui permettraient aux comédiens de passer par tous les états du jeu. Et je crains également, si je pense trop à eux, de tomber dans un théâtre psychologique susceptible de réduire aussi bien la personne que le personnage. Finalement écrire en pensant aux comédiens pose tout de suite la question du personnage et, dans mon processus d’écriture, ce n’est pas forcément une question que je me pose au départ. Il est essentiel pour moi que les personnages restent extrêmement ouverts. Je pense être davantage dans la logique de la langue que dans la logique du personnage.


Ph. D. : Tu as d’abord trouvé le thème, puis le titre, et enfin tu as écrit la pièce.


P. S. : En effet, pour des questions très concrètes de programme, il était important de trouver un titre alors que je n’avais pas encore véritablement commencé à écrire, et je pouvais craindre qu’il perde son sens une fois la pièce terminée, mais Désertion reste juste même s’il fait différemment écho aujourd’hui. D’une désertion qui était de fuir l’endroit où l’on devrait être, c’est devenu se déserter soi même. Déserter son corps, puis aller rendre visite à un autre sexe. Déserter pose la question de “qu’est-ce qu’on habite, qu’est-ce qu’on habite pas”. Le désert, au départ, est un fantasme absolu pour ces deux hommes, un espace inhabité et calme, exactement ce qu’ils pensent chercher, mais c’est aussi le désert qu’ils ont à l’intérieur d’eux et qu’ils essaient de combler. il y a différents déserts et plusieurs désertions. J’ai voulu travailler de la même manière sur la langue, comment un homme enfilant une robe habite un autre corps qui lui donne accès à un nouveau langage.


Ph. D. : il y a une expérimentation de l’autre sexe. Et de manière très différente pour chacun des personnages.


P. S. : C’est ça qui est complexe. Aujourd’hui on veut nous dire que nous sommes juste des êtres humains et on veut gommer les différences entre les sexes, mais il me semble que cette différence existe bel et bien, même si c’est très mystérieux ce en quoi on est différent et ce qu’il y a à tenter dans cette expérience de l’autre.


Ph. D. : Pour reprendre une phrase de Deleuze, “comme si on avait des devenirs du côté de l’autre sexe”. Ce qui est en question dans Désertion, c’est notre devenir femme. Et ce devenir est vécu différemment par chacun des personnages, cela passe soit par l’appropriation, soit par une traversée, soit par l’escroquerie aussi, une façon brutale et définitive de prendre les robes. En mettant la robe on pense qu’on va voler quelque chose. Comme une femme pourrait soudainement décider d’adopter le gestus masculin et se dire : par là je vais trouver quelque chose.


P. S. : Et c’est très clair ce qu’on peut avoir envie de voler d’un côté ou de l’autre.


Ph. D. : C’est très indéfinissable cette chose entre les sexes, très mystérieux, mais c’est aussi, c’est vrai, l’endroit de tous les clichés, de toutes les idées reçues possibles puisque évidemment ça peut être clair ce qu’on a envie de s’approprier, sauf que dès que c’est clair c’est terrible.


P. S. : Exactement et c’est là où c’est délicat d’écrire là-dessus, le fait que ce soit une comédie permet par moments d’utiliser les clichés de manière complice en sachant qu’on ne parle pas vraiment de ça, que ce qu’on interroge est plus large et plus troublant.


Ph. D. : Comment s’est déroulée l’écriture même ?


P. S. : Dans le processus d’écriture c’est principalement le silence entre chaque réplique que je trouve passionnant. Il y a ton instinct d’écrivain, à l’oreille presque, tu sais si ça sonne faux ou juste, et pour ma part, je sais que l’écriture est juste quand la part est laissée à l’autre, à celui qui va écouter, que je dois lui laisser jouer un rôle. Même si j’ai l’idée entière de la pièce, l’écriture m’amènera toujours ailleurs que là où j’avais eu l’intention d’aller. Il y a deux choses à écouter, une sorte d’écriture automatique, ce que produit l’acte même d’écrire, et puis la pensée que tu as de ton projet en globalité. Ca peut être, par moment, se lire comme un étranger pour essayer de comprendre où ton écriture veut en venir. Et c’est pour ça que j’ai souvent l’impression de mener une enquête. Et de ne pas toujours trouver le meurtre quand je ne mène pas à terme le sens. Or je pense qu’il est vraiment important de mener une pièce au bout de son sens ou de ses sens, s’ils sont pluriels, on ne peut pas se satisfaire de murmurer quelque chose pas très clairement.


Ph. D. : Oui, ou de laisser la responsabilité du sens à l’autre. Ce qui est souvent le cas aujourd’hui dans l’écriture. J’écris quelque chose de très elliptique, de très déroutant, très déjanté, et je laisse la responsabilité du sens à l’autre. J’ai fait mon métier d’artiste, qui est d’être rare, singulier, à toi maintenant d’en parler. La question de la responsabilité, elle est écrasante en littérature, parce que, y compris les gens qui ont été les plus déroutants dans l’histoire de la littérature, comme Joyce ou Faulkner, ont été des gens extrêmement conséquents dans cette fabrication. Aujourd’hui il y a une véritable irresponsabilité ou inconséquence, parfois, mais pas seulement chez les écrivains, chez les gens de théâtre, il suffit de voir la production des signes sur un plateau, la gratuité invraisemblable de la plupart des gestes qui sont faits, qui sont commis. Et on nous laisse la responsabilité de l’organisation du sens. Ca renverse le rapport de responsabilité, c’est ceux qui regardent qui sont responsables de ce qui se passe.


P. S. : Dans ta position, par rapport à Désertion, tu reçois un texte que tu as certes commandé mais qui ne correspond pas forcément à tes attentes, c’est un plus grand risque qu’un texte que tu aurais délibérément choisi et sur lequel tu aurais envie de travailler, non ?


Ph. D. : Je suis de moins en moins dans l’idée de sortir une pièce de ma bibliothèque et de la monter. La preuve, je n’ai pas de projet, je n’ai aucun projet, c’est donc bien que ça interroge le théâtre autrement. Je ne l’envisage plus du tout comme un acte solitaire, ça ne m’intéresse pas. Même ma dernière création, les deux tragédies de Racine, a été débattue collectivement avec la troupe. J’essaye d’être un peu conséquent avec le regard que je porte sur la mise en scène, ce qu’on appelle l’art de la mise en scène qui, pour moi, n’en est pas un, ne peut pas et ne doit pas en être un. Il m’est facile de répondre en tant que metteur en scène à une commande assumée avec la troupe parce que nous avons réuni les conditions ensemble et, du coup, mon attente ne peut pas être déçue. La commande d’écriture s’inscrit dans une histoire commune qui en fait déjà un objet proche avant que le texte arrive. Quelque chose existe déjà, il y a Vincent, Cédric et moi comme acteurs, je sais que je vais mettre en scène, que Simon Delétang sera à mes côtés, que tu écris le texte, c’est absolument déterminant. Aujourd’hui, la seule chose qui m’intéresse dans le rapport à l’art c’est d’avoir à faire à des artistes, donc à des auteurs, mais au sens très large. C'est-à-dire des gens qui, d’une manière ou d’une autre, ont un rapport avec l’écriture, l’écriture de ta voix de ton corps quand tu es acteur, ou des lumières ou du son. Pour moi, fondamentalement, le rapport à l’art c’est un rapport d’écriture. Je m’adresse à des artistes, chacun dans leur catégorie, et mon travail n’est qu’artisanal, j’essaye d’organiser ensemble différents éléments. J’attends de tous les gens qui travaillent dans l’art d’avoir un rapport d’écriture par rapport à leur engagement. J’ai envie de travailler collectivement et que chacun soit dans sa responsabilité, qu’il ne fasse que ce qu’il sait faire mais tout ce qu’il sait faire. N’être que ce qu’on est mais tout ce qu’on est.


Philippe Delaigue / Pauline Sales

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