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Cut

+ d'infos sur le texte de Emmanuelle Marie
mise en scène Jacques Descorde

: Entretien avec Emmanuelle Marie, l’auteur

Propos recueillis par Jean Pierre Han

Découpage chorale
Cut, le titre de la troisième pièce d’Emmanuelle Marie, un auteur nourri de son expérience de comédienne et d’une culture plus visuelle que littéraire, claque comme un fouet. Il présente cet autre avantage de faire référence au découpage cinématographique privilégiant ainsi l’aspect formel de l’oeuvre.


Est-ce bien là une volonté délibérée de l’auteur ?


Emmanuelle Marie : Bien entendu ! Cut est effectivement structuré comme un découpage cinématographique. La pièce présente des parts de vie de femmes. On passe de l’une à l’autre. D’une chose à une autre. Exactement comme un reportage. J’essaye, pour chacun de mes textes, de trouver une forme différente. Chaque sujet induit à une structure différente. C’est intéressant de voir le « mixage » qui est à chaque fois opéré. C’est comme si le sujet était ainsi « cuisiné » dans une structure qui lui est propre.


La forme de découpage cinématographique de cut imprime également un certain rythme…


Oui. Le théâtre, pour moi, c’est de la parole vivante et donc musicale. C’est vrai que Cut est très rythmé. Il l’est aussi par l’utilisation que je fais de sortes de choeur dirigé par un coryphée…


Mais le cinéma ne renvoie pas forcément à une forme chorale…


Il y a avec le choeur et le cut deux formes paradoxales que je mets en parallèle. Ces formes s’imbriquent totalement l’une dans l’autre.


A quoi correspond ce choix délibéré de cette structure particulière ? Au départ de la pièce, il y a cette vision d’une foule de femmes d’âges très différents les uns des autres. La forme cinématographique s’est imposée à moi, et en même temps le choeur était présent. Il y avait bien là un choeur de femmes. L’une d’entre elles sortait du groupe, venait témoigner face au public, quasiment à l’avant-scène, le choeur à l’arrière-plan « nourrissant » pour ainsi dire son monologue. La femme retournait ensuite dans le choeur, une autre en sortait, etc. Pas de discussion, il y avait là un dispositif permettant un jeu de vaet- vient.


Pour raconter quoi ?


Pour raconter comment on se construit, non pas lorsque l’on est une femme, mais lorsque l’on a un sexe féminin. Quand on porte « ça » en soi. Cut n’est pas un texte qui prétend balayer de façon exhaustive cette problématique, il se contente de donner certains éclairages sur la question.
En dehors de sa sonorité que j’aime bien, Cut veut dire couper, séparer. Or le mot sexe vient de sexus, mais viendrait aussi de secare qui veut également dire en latin…Séparer. Je trouvais que c’était amusant d’avoir le fond et la forme réunis dans un même titre !


Et l’on est séparé de quoi ?


Mais de l’autre sexe ! Homme, femme, à un moment nous ne vivons pas la même chose à cause d’une différence morphologique. Mais attention mon texte n’est pas un texte sociologue, ni érotique, ni pornographique, il se contente de dire simplement comment on vit avec « ça », avec cette différence.
Cela pose aussi, bien évidemment, le problème de la solitude. Ce thème-là est sous-jacent à toute la pièce. Vivre, essayer de comprendre son propre sexe, de voir tout simplement comment on est fait de s’accepter en tant que tel, c’est le début d’un parcours initiatique que est intimement lié à l’existence même.


Vous avez parlé de choeur, mais n’y a t’il pas de personnages ? N’y a t’il pas non plus de fable ou d’histoire dans votre pièce ?


Il n’y a ni fable, ni personnage au sens traditionnel (et psychologique) du terme !
Le lieu de « l’action » en revanche était important. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve un lieu où les femmes se retrouvent. Il fallait aussi que ce lieu ait à voir avec la morphologie même des femmes, avec leur chair ; j’ai choisi des toilettes pour dames ! Ca peut paraître trivial, mais on est tout de suite placé dans la réalité. Parler de la façon dont les femmes urinent était important, car cela commence bien ainsi : les hommes pissent debout, les femmes assises…Alors oui, c’est trivial, mais cela indique bien dans quel registre on va se trouver, de quoi on va parler… En même temps ce lieu (les toilettes) est un lieu emblématique de la libération de la parole, et du corps. Un corps montré tel qu’il est, sans érotisme aucun. Et dans les toilettes pour dames les hommes sont absents ( mais toujours présents dans l’évocation !). je voulais vraiment que cela se passe entre femmes seules. Un choeur de dames. Car, je le répète, il n’ y a pas de personnages. D’ailleurs, dans la mise en scène de Jacques Descorde, il y a trois femmes, alors que dans la lecture qui a été faite en novembre dernier à Montréal, elles étaient quatre ! Le nombre de personnages peut varier suivant le découpage que l’on fait des différents monologues. Ce qui prouve bien qu’il n’y a pas des personnages donnés une fois pour toutes, avec des caractéristiques psychologiques, etc.


Justement à propos de la lecture qui a été faite à Montréal, étiez-vous d’accord avec cette manière qu’a eue la metteuse en scène d’amener le texte vers le chant ?


J’ai été totalement d’accord. Sa façon de travailler sur le non psychologique était tout à fait juste. Ce qui comptait avant tout, c’était l’oreille, la rythmique. Plus encore, il arrive même un moment où la parole ne suffit plus. C’est la raison pour laquelle j’aime travailler sur les silences. Dans Cut, quelques silences seulement sont notés ? Mais désormais j’entends bien tous les indiquer, comme dans une partition musicale.
Très curieusement la manière de travailler de Diane Dubeau à Montréal rejoint ce que nous avons fait avec Jacques Descorde. Je puis dire que j’ai eu la chance d’avoir deux metteurs en scène allant, pour moi, dans la bonne direction !
S’il n’y a donc ni véritable histoire (ou alors il y a multitude de « petites » histoires), ni personnages psychologiques, incarnés, en revanche la pièce ouvre certaines situations à l’écoute et à l’identification du spectateur. La pièce incite le spectateur à prendre la parole, suscite des confidences de femmes et aussi, très paradoxalement, de beaucoup d’hommes !

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