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Corps otages

+ d'infos sur le texte de Jalila Baccar
mise en scène Fadhel Jaïbi

: Enjeux

Fadhel Jaïbi est un grand nom de l’art théâtral arabophone. Chacune de ses mises en scène est attendue, suivie, passionnément commentée par des milliers de spectateurs fidèles à son théâtre de Tunis. Depuis 1972, en une vingtaine de créations et trois films, il s’est forgé une stature unique. Elle lui garantit une indépendance certaine, une liberté de parole et de création qui lui permettent de travailler à son rythme sur les questions de son choix sans avoir à transiger ni avec le pouvoir, ni avec le marché. Son théâtre, qu’il voudrait « élitaire pour tous », a été applaudi à Rabat, Beyrouth, Damas, le Caire… En Europe, il s’est d’abord fait connaître comme pédagogue et formateur, mais ses derniers spectacles – Comédia, Familia, Les Amoureux du café désert, pour ne citer que ceux-là – ont tourné en Italie, en Espagne, en Hollande, en Suède, au Portugal, en Belgique et en France. En 2002, Junun (Démences), joué au Cloître des Célestins, est l’une des révélations du Festival d’Avignon.


Ce travail, Jaïbi et sa compagne Jalila Baccar (elle-même auteur et comédienne) s’y engagent totalement, immergeant les acteurs dans un processus de création partagée qui s’étend souvent sur près d’un an. Cette longue gestation s’explique par la nature même de la recherche qui anime Jaïbi et Baccar. Leur idéal de théâtre ne se nourrit pas d’abord de texte, mais de quête, de corps, de confrontation. De corps : Le couple ( qui travaille parfois avec des chorégraphes) tient à ce que le théâtre soit avant tout fait de chair et de sang, de mouvements et d’émotions, communiquant du coup à ses spectacles une énergie directe et convulsive. De quête : car Jaïbi et Baccar, de spectacle en spectacle, s’interrogent avant tout sur la condition de « l’homo tunisianus » contemporain, telle qu’elle s’exprime dans une langue multiple (prose ou poésie pouvant alterner à trois nivaux linguistiques distincts : l’arabe littéraire, le bédouin, le dialecte tunisien urbain), et telle qu’elle résulte d’une histoire complexe, fragmentée, souvent ignorée et refoulée. Ce qu’il importe de questionner et de comprendre, aux yeux de Jaïbi et Baccar, c’est notre époque actuelle : pour cela, il faut délier les langues, réveiller les mémoires, remonter le cours du temps et tenter d’inventer des parcours possibles, des figures qui suggèrent, au moins à titre d’exemples, ce qui a pu se produire et comment on en est arrivé là. La quête se fait donc enquête, et procède par confrontations : du présent avec le passé, des positions de parole masculine et féminine, de la nouvelle génération adulte avec celle de ses parents (eux même fils des premiers témoins de l’indépendance tunisienne, il y a un demi-siècle), du rationalisme marxiste des militants des années 60 et 70 avec les convictions fondamentalistes, mais aussi de l’Occident postcolonial avec l’Orient et le Maghreb (un face à face que Jaïbi a particulièrement approfondi dans une de ses créations les plus récentes : Araberlin, conçue et créée dans la capitale allemande). Dans Junun, l’exploration et l’anamnèse avaient pour fil conducteur la relation d’un jeune schizophrène avec sa psychanalyste : la construction dramatique s’opérait autour d’un sujet absent et du douloureux travail de sa renaissance à soi.


Dans Corps otages, l’absence et l’aliénation seront d’un autre ordre : Jaïbi et Baccar partiront cette fois-ci du geste d’une jeune professeur de physique qui, « sous l’œil médusé de quelques uns de ses collègues », se fait exploser dans la cour de son établissement de la capitale, au pied du drapeau tunisien – autrement dit, comme le note Jaïbi avec une froide ironie, « si loin des lieux où l’on se fait habituellement exploser ». Avec un tel point de départ, le thème de recherche choisi par Jaïbi rejoint ici son style théâtral et sa matière de prédilection : depuis toujours animé par la violence qui traverse les corps, son théâtre s’attaque ici à l’une de ses formes les plus effrayantes, pour essayer de reconstituer le « puzzle éclaté » (Jaïbi ne dédaigne pas un certain humour noir) laissé par la jeune femme : comment une fille de famille aisée, d’éducation laïque, dont le père, ancien militant communiste, a passé dix ans dans les geôles de Bourguiba, dont la mère, haut fonctionnaire à la retraite, milite pour les Droits de l’Homme, comment donc une telle femme en vient-elle à basculer dans l’islamisme radical et « provoquer » ( ?) un suicide demeuré un mystère ? La réponse, selon Jaïbi, concernera sans doute aussi les Européens, de bien plus près qu’ils ne voudraient le croire.


Service Communication de l’ODÉON

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