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Classe

d'après Classe de Blandine Keller
mise en scène François Rodinson

: Note d’intention

Nous sommes à l’intérieur d’une pensée, au fond du regard d’une jeune femme professeur de français dans une classe de sixième d’un collège de Saint-Denis, dans ce département au chiffre aujourd’hui mythifié dans ces deux chiffres 9.3. La classe dure une heure, entre deux sonneries, une interrogation écrite à propos de l’Odyssée d’Homère. Le texte entrecroise les faits, les paroles et les pensées. La professeur, pour parler d’elle-même dit parfois « je », parfois « elle ». Il y a les mini portraits fragmentés des élèves de cette classe : Djamal, Toni, Marc, Amin, Sonia, Erdal, Goran, Pili et Yasmine, Bintou, Christelle, Ozlem, Emilie, Gillian, Rémi, Sofiane, Hicham, Mahieddine, Marianne, Emeline, Armelle. Il y a des gestes microscopiques : « Sofiane ramasse un capuchon de stylo par terre ». Il y a l’Odyssée : « trois fois heureux tes frères ! Mais plus encore celui qui t’ayant comblée de cadeaux, t’emmènera dans sa maison ».
Le spectacle devra traiter ce mille-feuilles comme un «inventaire de mémoire». Simplement donner à entendre cette étrange poésie née de la confrontation alternée de fragments de réel, dont le chaos reconstitue la clarté d’une conscience dans un acte de transmission qui n’a rien d‘évident ni de facile. Qui est le héros, Ulysse ou cette discrète professeur qui manie douceur, écoute, et autorité avec doigté, avec humanité ?


Nous sommes comme à l’intérieur d’un tableau. Le tableau noir comme un cosmos où se dessinent les mots enfantins tracés avec plus ou moins de maladresse, où peuvent apparaître, spectraux, les visages des enfants remémorés, le regard d’Ulysse, et où circulent également les voix du souvenir. Elle, elle se souvient et dialogue avec elle-même, avec les voix et les sons, les images et une mélodie, sans doute, comme seule volute de couleur flottante dans tout ce noir strictement mental.


Ce tableau de l’intérieur est une structure légère, aisément montable, comme une bulle autonome dans laquelle la professeur évolue, suspendue comme en rêve.


Elle évoque, peut-être, « l’intense machine verbale toute entière tendue vers l’effort d’explorer et de mettre au jour les couches souterraines de la géologie humaine » dont parlent Frédéric Ciriez et Rémy Toulouse en préface au passionnant ouvrage de Pierre Bergounioux, École : Mission accomplie qui analyse la manière dont s’est façonné un nouvel imaginaire de l’école : celui de l’ « égalité des chances ».


Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce texte ni optimiste ni pessimiste mais où, à travers l’infinie douceur et la patience toute d’intelligence et de tact qui fondent sa pratique d’enseignante, perce une délicate mélancolie.
Pas question non plus de se perdre dans une quelconque poésie diffuse, éthérée et lénifiante évoquant « le sacrifice magnifique d’une femme » dans son beau métier de professeur. Car le texte dépasse de très loin cette simple conjecture.
Oui, cela parle de l’activité enseignante avec un sens du concret très aigu mais c’est, du coup, une large réflexion sur l’éducation et ses corollaires qui est mise en jeu. Et il me semble bien qu’à l’ère du fragmentaire et de l’immédiateté qui est la nôtre, le théâtre, art de la mémoire s’il en est, devrait avoir la tâche de se pencher sur ce qui maintient, ce qui relie en inscrivant dans une durée. On ne saurait mieux dire, pour conclure, qu’en empruntant les mots de Pierre Bergounioux dans son livre École, mission accomplie : « Parler à des élèves, les convaincre que l’important, c’est de réfléchir à ce qui se passe, à ce qu’on fait, de l’énoncer pour les autres, mais pour soi, aussi, avec toute la netteté dont la langue française nous rend capables, telle est la seule chose qui me convienne. En cela, je roule dans la bonne ornière, celle de la culture savante, des significations importantes qui jalonnent la marche de l’entité supra-individuelle, trans-générationnelle dont nous sommes les représentants passagers ».

François Rodinson

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