Après « Sandrine », nous avons décidé Damien et moi de repartir sur une nouvelle création à deux, puisque nous n'avions pas d'argent, que nous ne savions pas où nous serions ni quand, que nous avions envie de garder une liberté d'espace et de temps. C'était une année un peu flottante, et ce grâce au chômage... Nous n'avions pas besoin pendant quelques temps de chercher du boulot, donc nous nous sommes baladés, sans trop savoir encore où nous voudrions vivre un peu plus longtemps.
Aussi, nous avons mis du temps à savoir comment nous appellerions cette création qui parle d'un type qui n'a pas de nom, et qui se balade comme nous d'un endroit à un autre, sans y reconnaître de racine, un peu comme un animal en voie de disparition, ou un animal nomade qui cherche une cage.

Nous avons commencé la création dans le Limousin, dans une grande maison qui appartient au grand père d'un ami, à Montsergues.
Cette maison de la Creuse est située dans un hameau reculé, et déserté l'hiver. C'était en janvier et il a neigé. Les quelques voisins nous ont invité plusieurs fois à boire un Berger Blanc. Denise nous a dit que Stanislas, un des habitants de Montsergues, était parti vivre à Bourganeuf au milieu des turcs, et que les turcs étaient venus avec la tempête.
Dans la Creuse il y a des sapins, du granit et des scieries. Ça ressemble un peu à Twin-Peaks.

Nous répétions dans une chambre de 9m2. Tout d'abord sur un vieillard qui ne comprend plus son monde. Puis sur un type qui construit une autoroute et qui vit à l'hôtel. Ce type, c'est Damien qui le joue. Damien n'a pas son permis. Il n'a jamais travaillé sur un chantier d'autoroute. Donc ce type fait de l'intérim, il s'est retrouvé sur ce chantier d'autoroute, il n'a pas de maison, et c'est une erreur.

On se levait très tôt le matin, à peine réveillés et tout juste debout je donnais un thème à Damien qui se recouchait aussitôt dans la petite pièce où nous répétions pour raconter un rêve. Dans la journée, il plantait dehors un tabouret et deux bouts de bois pour raconter ce qui se passe sur le chantier. Le soir, il revenait dans sa chambre d'hôtel et téléphonait à sa femme.

La musique est composée par Guillaume Thermet. Un ami que nous avons rencontré en Ardèche. Guillaume vient de Clermont-Ferrand où il a fait du hard-rock avec des copains. Maintenant il est infirmier à l'hôpital de Privas. Nous avons d'abord travaillé à distance, je lui racontais ce qu'il se passait au fur et à mesure des répétitions, et il écrivait la musique très instinctivement. Puis nous nous sommes retrouvés en septembre pour écrire ensemble sur le plateau.

Chacal. C'est l'histoire d'un gars qui a toujours peur de mal faire et qui essaye de se convaincre qu'il est capable d'y arriver. C'est l'histoire d'un gars qui ne comprend pas ce qu'il fait là. Qui n'est attaché à rien mais qui essaye de s'attacher à quelque chose, en cherchant la reconnaissance des autres gars qui eux sont à leur place sur ce chantier, du grand chef qui ne voudra pas renouveler son contrat, de sa femme qui va bientôt être mère et faire de lui un père.

C'est aussi l'histoire d'un gars qui se fout de tout et dont tout le monde se fout.

Et puis il y a Lucie qui va venir au monde.

Lise Maussion