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Cabaret Georges Brassens

Thierry Hancisse ( Conception ) , Benoît Urbain ( Direction musicale )


: Entretien avec Thierry Hancisse

Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française - avril 2014

Un répertoire connu, et inconnu...


Quand on évoque la figure de Georges Brassens, la première chose qui vient à l’esprit ce sont des chansons extrêmement connues comme L’Auvergnat, Les Copains d'abord. Pour ce cabaret, j'en garderai certaines qui sont, je crois, des points de repère importants pour le public. Mais je me suis surtout penché sur l’oeuvre de Brassens que je connaissais mal. Son répertoire est immense, et l'on y trouve des chansons surprenantes, tant pour leur humour et leur poésie, que pour une certaine mélancolie… Ce sont ces chansons-là que je veux mettre un peu en lumière, et je les ai appréhendées assez humblement. Brassens lui-même dit que lorsqu'il écrit une chanson, elle vient à lui doucement : il y a d'abord un petit paysage, dans lequel il place des personnages ; puis, pour ces petits personnages, il invente une histoire. Je trouve que c’est une façon assez jolie de commencer un travail de réflexion sur l'auteur Georges Brassens. Ensuite, il y a l'interprète. Ces petits personnages lui appartenaient, et il leur prêtait donc sa voix et son style, si uniques. De la même façon, une fois choisis les acteurs-chanteurs qui allaient m'accompagner dans cette aventure, j'ai voulu trouver des chansons qui correspondent à leur personnalité d’acteur et de chanteur, pour qu’ils n'entrent pas nécessairement dans les pas de Brassens et puissent travailler à leur propre interprétation. Ce choix n'a pas été simple, car au fur et à mesure du travail de préparation du spectacle, on découvre énormément de chansons qu’on regrette de ne pas pouvoir faire entendre ! Mais il s'agit de monter un cabaret d’une heure environ...


Une musicalité complexe et chaleureuse


En écoutant les musiques de Brassens je me suis rendu compte, contrairement à ce qu'on pourrait penser de prime abord, qu'elles étaient extrêmement composées. Lui-même se défendait d'être un grand compositeur, mais son imaginaire musical correspond bien à la gamme très ample de ses imaginaires poétiques : il invente constamment. Il disait également que pour lui la musique était, d'une certaine façon, plus importante que les paroles, mais qu'il ne fallait pas qu’on l’entende... Il pensait que sans sa musique, ses paroles auraient eu moins de poids. J'ai découvert que Brassens avait une grande admiration et un immense amour du jazz ; de tous les rythmes de jazz, de compositeurs comme Django Reinhardt ou Louis Armstrong, dont on sent l’inspiration continuelle dans sa musique. Même quand elle paraît un peu binaire, elle est pleine de contretemps, de contre-rythmes accentués par sa manière d’interpréter ses mélodies. C’est une musique riche. Le travail que réalise Benoît Urbain pour ce spectacle, ses arrangements pour guitare, piano, contrebasse et accordéon, sans dénaturer la musique de Brassens, son essence, lui donne, je crois, une autre ouverture, une autre ampleur. Ce travail s'appuie sur des rythmes qui me semblent bien correspondre à chaque personnalité d’acteur, ainsi qu'à chaque personnalité de chanson, et feront écho, je l'espère, aux aspirations et aux goûts musicaux de Brassens. Benoît Urbain – lui-même accordéoniste et pianiste – assurera également la direction musicale, en essayant de donner une couleur « jazzy » et manouche à l’ensemble (quitte à explorer des sonorités plus tango ou flamenco, voire « rap »), une couleur très chaude et amicale. J'aimerais un spectacle qui rappelle ces petits concerts intimes où l’on joue du jazz entre copains, où l’on se retrouve pour chanter, et où se produit une interaction entre le chanteur, les musiciens et les auditeurs. Sur certains enregistrements un peu pirates, par exemple quand Brassens, à ses débuts, était avec sa « bande » chez Patachou et qu'on l’entend s’essayer à la guitare et essayer de nouvelles chansons que tout le monde reprend en coeur, on est frappé par la chaleur et la convivialité de ces rendez-vous. On est vraiment dans un univers intime, brut, sans apprêts : c’est Les Copains d’abord. Le quai du port avec le bateau, la mare aux canards avec des bouteilles de vin sur le côté, et il fait bon, et on chante ! C’est un peu cette atmosphère que j’aimerais faire ressortir de ce travail, musicalement et collectivement. J’ai insisté auprès de Benoît Urbain pour que le spectacle fasse la part belle à des chansons à plusieurs voix, qui rappelleraient des improvisations de groupe, à deux, trois, ou quatre, parfois en canon.


Se retrouver entre copains, et chanter ensemble


Le décor, les éclairages, les costumes, je les souhaitais empreints d'une certaine mélancolie, fondamentale chez Brassens. Il avait du mal à s’inscrire dans son époque, et s'il voulait prendre parti, il était conscient qu'il n'existait guère d'espace où il pourrait développer ses idées : il n'était pas ce qu'on appelle un chanteur engagé, il était anarchiste parce qu’il refusait certaines règles ou ne les comprenait pas. Jamais il n'a eu la prétention de changer le monde, de porter des messages ; il disait dans ses chansons ce qu’il ressentait, il critiquait le monde à partir de ce qu'il ressentait, sans affirmer qu'il détenait la vérité. C'est assez fascinant de voir à quel point sa démarche était humble, et ce n'était pas, je crois, de la fausse humilité. Il était orgueilleux, bien sûr, comme tout artiste, mais l’orgueil n’est pas de la prétention. Brassens est un poète de la vie simple, des petites histoires simples, avec une écriture de troubadour, comme il aimait à se qualifier lui-même. En lisant ses interviews, je suis tombé sur ce propos qui m'a interpellé : il y avouait qu'il ne savait pas comment s’habiller en public, et qu'à son âge, s'il se produisait dans sa tenue de tous les jours, avec une espèce de veste en velours mal bigornée, la chemise ouverte, les gens penseraient que c'est de l’affectation ; c'est pour cela qu'il optait pour une tenue classique, en scène. Son souci, son respect du public allaient jusque-là. Dans certaines archives télévisées, où on le voit entouré de ses amis, on remarque en effet que tout le monde porte une tenue assez sobre et simple. Des costumes avec des cravates, des costumes à chevrons, des costumes des années soixante-dix ou quatre-vingt, en somme. J'essayerai de retrouver l’ambiance des plateaux de télé de cette époque-là… Des copains qui viennent rendre visite à un de leurs copains, mais qui mettent une cravate. Bien sûr, il y a de grandes chances que tout cela se relâche un peu pendant le spectacle. Je pense que les vestes vont tomber, que les manches vont se retrousser et que les cravates vont se dénouer… J’aimerais garder cette espèce d’esprit libre à travers toute la représentation. Plutôt qu'une mise en scène, je préfèrerais parler d'une mise en condition, au niveau des lumières, du décor, du style de musique, mais je voudrais que les acteurs trouvent leur autonomie, leur plaisir et leur liberté dans ce processus ; qu'ils gardent, au fil des représentations, une certaine spontanéité liée à une capacité d’improvisation, même si le cadre du spectacle sera très construit, très précis. Idéalement, ce sera un spectacle choral, où les acteurs seront souvent en scène ensemble, un peu comme un plateau télé d'une heure, où des amis se retrouvent pour chanter du Brassens.

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