C’est un drôle de spectacle que celui-là : quelques cageots de maraîcher où les livres remplacent les fruits, une dizaine de chaises alignées face à la salle et des petits panneaux de carton où s’affichent les noms de Pasternak, Shakespeare ou plus curieusement Stoneman ou Beatty (comme Warren). Ou autre chose, d’ailleurs, tant il n’est pas une représentation pour ressembler à l’autre. Car By heart est un spectacle qui tous les soirs se renouvelle. Prenez un jeune acteur-metteur en scène portugais, Tiago Rodrigues, récemment nommé à la Direction du Théâtre National de Lisbonne. Choisissez au hasard dix spectateurs. Installez-les sur les chaises de la scène. Puisez dans les cageots de livres. Un soir ce peut être un sonnet de Shakespeare, un autre un texte de… de qui l’on veut. Le jeu -au sens théâtral du terme- est désormais pour Tiago Rodrigues de faire apprendre le texte à ces dix spectateurs. Ce qui ne va pas sans carambolage entre passé et présent, entre littérature noble et, parfois, téléréalité. Ce qui ne va pas sans un éclat de rire ou une interrogation que le scénario - s’il y en a un - n’avait jamais prévus.
Bien entendu sous le ludique de la performance, il n’est pas interdit de lire ce que Truffaut avait déjà mis en images dans son Farenheit 451 : un texte su par coeur, caché au fond d’un coeur, ne peut plus mourir. «Aucun KGB, aucune CIA, aucune Gestapo n’y peut plus rien», dit Tiago Rodrigues. Qui, chaque soir, met ainsi à l’abri quelques vers, quelques lignes… En souriant. Mais inlassablement.