À l’origine de ce spectacle, il y a un paquet de lettres que mon père écrivait à sa famille alors qu’il était prisonnier en Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale. J’ai été touchée de le découvrir à vingt ans, de lire sa parole de fils, à lui, mon père. Je lui ai dit que j’aimerais créer un spectacle de théâtre à partir de ses lettres. Il m’a dit que c’était des bêtises mais que si ça pouvait me faire plaisir…

Et puis bien des années plus tard mon père est mort. J’ai écrit alors un spectacle à propos du fait de devenir orphelin, un texte sur le temps qui passe, sur la fragilité de la vie dont on ne prend vraiment conscience que confronté à la mort, sur la maladie et l’absence qui éloignent de nous ceux que l’on aime. C’est aussi parler de la mémoire, celle qui, au fil du temps, se délite, comme un long voile fin qui se déchire et se troue. S’amuser alors à repriser avec de nouveaux fils, en inventant des dessins et des figures, en reprisant le vrai avec du faux pour le rendre plus solide.

C’est une parole de gens simples, pas de grandes effusions, pas de longs discours, des grandes émotions qui ne se disent pas. Dès le début de l’écriture du spectacle, il y eut, dans ma tête, un homme muet qui danse. Je ne sais pas qui il est. Il est l’homme qui est là et qui se prête au jeu. Les quatre femmes envahissent son espace pour parler du père mort : sa fille, sa femme – mais, s’en souvient-elle – et deux inconnues qui raccommodent l’histoire avec des fils noirs ou dorés. C’est un choeur de femmes, éclaté et un homme, qui danse.

Brigitte Baillieux