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Atteintes à sa vie

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Christophe Pellet

: Note d’intention de mise en scène

Quinze ans après son écriture, Atteintes à sa vie continue à nous parler du monde d’aujourd’hui.


La pièce la plus montée de Martin Crimp, Atteintes à sa vie est une pièce que je fréquente depuis quelques années. Or, je trouve que les mises en scène de ce texte que j’ai pu voir jusqu’à présent ne prenaient pas assez en compte sa particularité. Souvent, la mise en place de situations et de personnages qui ne sont pas forcément dans le texte vient remplir les béances de ce dernier. Mais le faut-il vraiment ?


Que se passe-t-il lorsqu’on prend le parti d’épouser jusqu’au bout la logique du texte, et d’admettre que la seule situation dans Atteintes à sa vie, c’est celle qui consiste à raconter, souvent ensemble – avec ce que cet « ensemble », qui ne va pas de soi, implique – des histoires ? Après tout, aujourd’hui, on nous raconte bien des histoires, un peu partout. Et si on pouvait aussi jouer avec, et en rire ?


Que se passe-t-il encore lorsqu’on admet que le travail de l’acteur ne consiste plus à faire vivre un personnage aux contours bien définis d’un bout à l’autre de la pièce ? Car Atteintes à sa vie permet de déplacer le centre de gravité du travail de l’acteur. Elle appelle, le plus souvent, à mettre en scène non pas des personnages à proprement parler, mais des êtres anonymes, interchangeables de par leur incapacité à avoir une parole propre. Pourtant, le jeu de l’acteur ne doit ni consister à caricaturer ou parodier ces narrateurs – ni consister en un jeu psychologique, qui imiterait systématiquement ce qui est raconté et irait ainsi à l’encontre de ce que propose cette écriture. En fait, c’est souvent le plaisir qu’éprouvent les acteurs à raconter ces histoires, et leur sérieux, qui engendrent ici l’ironie, voire parfois le comique ; surtout, c’est le rythme de leur échange, de leur déplacement, leur regard, c’est-à-dire les détails, qui font ressortir les enjeux de leurs interactions. Car il s’agit aussi de mettre l’accent sur la cruauté, et le comique, de ce qui se joue entre les narrateurs. Atteintes à sa vie est écrite pour une « troupe d’acteurs », et donne, de ce fait, une place centrale au collectif. Cette pièce permet de mettre en scène les modulations de la place de l’individu dans un groupe. A l’instar d’atomes, les narrateurs se rapprochent, s’écartent, forment des molécules le temps de quelques répliques, avant qu’une fissure ne les disperse à nouveau. Les ruptures et les rapprochements inattendus font régner sur scène une tension qui fait tout d’abord penser aux comédies de menace d’Harold Pinter. Mais il s’agit surtout de trouver, avec les acteurs, ce qui ne nous est peut-être pas si étranger dans l’interaction entre ces êtres, et qui questionne aussi le fonctionnement de la société aujourd’hui et la place qu’ont les individus à l’intérieur de celle-ci.


Enfin, que se passe-t-il lorsqu’on prend le parti de n’utiliser que des moyens rudimentaires (bois, carton, tissu…) et des objets du quotidien pour parler du monde ? Beaucoup de mises en scène d’Atteintes à sa vie recourent ou ont recouru, par exemple, aux grands écrans, qui finissent en général par masquer les corps des acteurs et ce qu’ils disent. Or, je trouve que la présence sur scène de magnétophones et de voix enregistrés, de portables (avec appareil photo et capteurs vidéo intégrés, comme il est courant aujourd’hui d’en avoir), peut tout aussi bien évoquer, par petites touches, l’univers virtuel des images, des voix et des sons qu’évoque la pièce et dans laquelle nous évoluons. Le mixage des voix enregistrées, de divers sons empruntés au quotidien, permettra le plus souvent d’assurer la transition entre les différents scénarios. Surtout, l’écrit viendra prendre le relai de ces images si souvent évoquées dans la pièce. Car non seulement il me semble indispensable que le spectateur voit les titres des scénarios, mais aussi, ponctuellement, des morceaux du texte, afin que puisse advenir l’ironie à l’égard de ce qui est dit par les narrateurs : pour donner pleinement à la pièce sa dimension à la fois ludique et inquiétante.

Melisa Yener

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