: Note d'intention
Notre adaptation est centrée sur la question
de l’émancipation des femmes, telle
qu’elle ressort du destin conjugal d’Anna
Karénine, de Kitty Chtcherbatski et de Daria
Alexandrovna : chacune incarne un moment
dans l’histoire d’un couple. Anna Karénine,
libre et déterminée, fait le choix de vivre sa
passion et sera bannie. Elle est l’insoumise,
la petite soeur d’Antigone.
Tolstoï écrit : « Anna Karénine ressemble
à la lueur d’un incendie au milieu d’une nuit
sombre ». Cette phrase me paraît donner,
en une image clé, la véritable dimension
d’Anna Karénine. Jusqu’où peut-on aller dans
l’amour charnel et qu’est-ce que le fantasme
amoureux ? Qui peut aujourd’hui incarner
une femme faisant le choix de l’émancipation
? Quels idéaux pour orienter la pensée
quand notre monde donne de tels signes
d’essoufflement et que les inégalités sociales posent la question de la méritocratie ? Sans
l’urgence d’un écho présent, une oeuvre classique
devient inutile.
C’est un roman sur la survie, non pas la
survie d’un individu ou d’une famille, mais
celle de toute une société, ou même d’un
monde. La fin du xixe connaît l’essor du
capitalisme et de l’industrie, mais voit aussi
l’émergence de mouvements contestataires
et nihilistes. Chez Tolstoï, tous les êtres se
débattent et parent au plus pressé. Anna Karénine, ou le cri sourd d’une haute société
dont l’obsession est, jusqu’au bout, de sauver
les apparences.
Nous pousserons le plus loin possible
les scènes de « passion » de manière à faire
jaillir la vitalité et la pulsation de l’oeuvre
romanesque. Une salle de bal imaginaire
d’un palais abandonné est éclairée par un
lustre dont les bougies brûleront jusqu’au dernier souffle de l’héroïne : « Éteignons la
bougie s’il n’y a plus rien à voir », ce sont ses
derniers mots.
La mort parcourt le chef-d’oeuvre de
Tolstoï. Le coup de foudre d’Anna et
Vronski, sur un quai de gare, est lié à jamais
au morbide : l’accident d’un ouvrier déchiqueté
par un train. Plus tard, au champ de
courses, Vronski se voit contraint d’abattre
sa jument qui a fait une chute. Ces morts
hantent l’esprit d’Anna, qui pressent la
sienne, et sa violence. Dans la mythologie
grecque, Perséphone, déesse du monde souterrain,
associée au retour de la végétation
au printemps, cueille des fleurs funéraires,
des violettes et des narcisses, avant d’être
envoyée aux enfers.
Le père de la littérature russe, lecteur assidu
de Rousseau, glorifie le monde de la campagne
et promeut l’éducation comme levier
de progrès pour lutter contre l’ignorance.
La Russie sort exsangue de la grande guerre
de Crimée de 1856, des révoltes paysannes
contraignent Alexandre II à prononcer l’abolition
du servage : c’est dans ce contexte que
Tolstoï écrit son roman de neuf cents pages,
s’interroge sur l’existence de Dieu, et ouvre
une école dans une aile de son château pour
promouvoir l’instruction pour tous.
Avec Anna Karénine, Tosltoï porte un
discours visionnaire et progressiste qu’il
me paraît urgent de faire entendre. Dans
notre période si troublée, où des populations
entières versent dans l’obscurantisme,
la peur et la paranoïa, nous continuons à
penser, comme le personnage de Lévine, que
la raison, l’éducation, les sciences, le savoir,
l’histoire, peuvent légitimement supplanter
la seule émotion, les croyances, les préjugés,
les superstitions, le fatalisme, la loi du talion.
Et fonder un projet de libération humaine
Gaëtan Vassart
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