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Angels in America

mise en scène Arnaud Desplechin

: Adapter "Angels in America"

Adresse aux acteurs par Arnaud Desplechin (2)

Si j’ai voulu garder la structure de la pièce, pour autant que j’aie pu, j’ai procédé bel et bien à une adaptation. Un travail de condensation.
Il y a deux versants, trois même, à cette adaptation du texte de Kushner.
Le premier versant, c’est la faisabilité du projet. Sans adaptation, pas de Salle Richelieu, et je vous disais combien il m’importait d’amener le scandale Kushner dans cette salle si singulière entre toutes.
Il y a aussi un souci poétique et politique : il me semblait, il me semble heureux de voir ce qui reste de la pièce aujourd’hui, le dépôt du temps sur une œuvre. De voir comment des bribes de souvenir viennent travailler le spectateur...


Dit autrement, dans les années Reagan, il y avait urgence à monter l’intégralité du texte, qui est aussi un texte d’intervention, une prise de parole politique. Dans les années Trump, il m’a semblé heureux d’épurer le texte jusqu’à son os.
Dans la version télévisée écrite par Kushner lui-même, pas un mot sur l’effondrement de l’URSS, pas de monologue du dernier communiste, pas d’allusion à la tragédie de Tchernobyl.
J’ai essayé moi de... tout garder ! De coller le plus possible, autant que faire se peut, à la structure initiale.


Mes coupes, donc, ont été opérées à l’intérieur des scènes. J’ai principalement condensé les dialogues, ou les monologues. Et je crois, je parie que cette condensation fait entendre, plus vibrante encore aujourd’hui,la poétique Kushner.
Il y a un troisième versant sur lequel s’appuie cette adaptation, c’est la fièvre amoureuse.
Louis – prononcer Louissss, c’est important – est un beau parleur. Très sûrement, il représente l’auteur dans la pièce. Mais noyé dans ses digressions politiques, j’oubliais parfois en relisant la version complète le moteur même de Louis : son désir de vivre, sa maladresse à aimer, et sa culpabilité.


J’écrivais cette adaptation et j’ai eu l’impression que le triangle amoureux,le quatuor amoureux, même, avec Harper, qui n’est pas qu’une solitude,le quintet amoureux, avec Belize, puisqu’il fut l’amant de Prior, oui, le quintet amoureux m’a semblé s’enflammer.
Je resserrai un peu, et soudain tous les motifs amoureux m’importaient de plus en plus. Je les voyais sur la scène.
C’est même ce qui me manque aujourd’hui dans la version de Mike Nichols : que l’amour qui vient toucher les trois hommes m’indiffère un peu dans cette version télé. Comme si les amours homosexuelles étaient frappées d’une malédiction, celle d’être toujours singulières. Arracher les amours hétérosexuelles à leurs privilèges, et offrir aux amours homosexuelles une telle ode, une telle vie, atteindre à un tel universel sans oublier leur singularité, c’est il me semble un des buts de Kushner.
Et c’est en quoi je crois cette adaptation fidèle à la volonté de Kushner.
Une fantaisie gay, comme l’intitule l’auteur.


Chacun des personnages résume l’Amérique, et le théâtre. Chacun des personnages ou acteurs incarne la pièce dans son entier. Et ce miracle est possible parce que nous sommes devant une très grande pièce, d’un très grand dramaturge.
Il reste un versant ombrageux dans la certitude qui était la mienne :qu’il me fallait adapter les Angels pour les monter aujourd’hui d’une façon pugnace, et c’est une modestie, la mienne.


Représenter six heures de spectacle, tout simplement, humblement, je ne saurais pas faire !
Ce spectacle complet, qui durait une journée, je l’ai vu. Et il était parfait.
Il fut monté par Brigitte Jaques-Wajeman, je ne saurais rien y ajouter.
La virtuosité de Brigitte, je sais l’admirer. Je ne voudrais pas la singer.
La modestie convenait mieux à l’homme de cinéma que je suis.


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janvier 2020

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