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: Alf layla wa-layla

"Les Mille et une nuits" ou l’histoire infinie d’une transmission

Il est raconté dans les traditions et légendes qu’une nuit parmi les nuits, dans un lointain Orient, — or cette nuit-là était la nuit du Destin, Shéhérazade aux yeux de pharaonne, liseuse des Astres, dit à l’oreille du très cruel et tourmenté roi Schariar, pour ne pas perdre la vie d’une façon violente, une histoire envoûtante qui depuis s’est répandue dans le monde entier… Il m’est revenu, Ô Roi fortuné, qu’il y avait en les années d’il y a très longtemps et les jours du passé reculé et depuis des âges abolis, dans une ville d’entre les villes de la Perse, deux frères dont l’un se nommait Qâssim et l’autre Ali Baba…
(extrait de l’adaptation de Macha Makeïeff et Elias Sanbar)


Du Caire à Bagdad, de l’Inde à la Chine, des îles mystérieuses à des rivages inconnus, les contes des Mille et Une Nuits n’ont jamais cessé de faire rêver, au-delà des temps et des frontières.
Les zones d’ombre sont nombreuses sur la transmission des Nuits et les débats infinis sur l’appartenance du recueil aux traditions orales ou écrites. Il existe aujourd’hui une centaine de manuscrits qui diffèrent par le choix, l’ordre et le nombre de contes, et par la diversité des influences. Le plus ancien manuscrit date du IXe siècle et on observe ensuite une absence totale de traces manuscrites entre le Xe et le XVe siècle, si ce n’est à travers des citations ou des témoignages indirects. Tous présentent cependant la particularité de s’organiser selon la technique de l’enchâssement, héritage de la tradition indienne et persane légué à la culture arabe. Texte multiple et protéiforme, les Nuits s’ouvrent à la culture occidentale grâce à Antoine Galland, employé à la Bibliothèque du Roi puis Lecteur de Louis XIV pour les langues orientales. Celui-ci fait venir de Syrie un manuscrit du XVe siècle. Sa traduction qui paraît de 1704 à 1717 connaît un engouement immédiat en France, en Europe et en Amérique, où il est à son tour traduit en de nombreuses langues. Grâce aux récits de son ami d’Alep, le maronite Antun Yusuf Hannâ Diyâb, il y intègre des « contes orphelins » comme Aladin ou Ali Baba dont on ne trouve aucune trace dans les manuscrits arabes antérieurs. La traduction de Mardrus à l’aube du XXe siècle déclenche un nouvel enthousiasme jamais démenti dès lors, irriguant les milieux artistiques les plus avant-gardistes aux cultures de masse des XXe et XXIe siècle. De conteur en conteur, de scribe en scribe, de traducteur en traducteur, les Nuits n’ont cessé de s’inventer et se recomposer, se développer et se transformer jusqu’à nos jours.


Tout s’est passé finalement comme si le long cheminement des Nuits dans l’histoire avait été prévu pour faire de celle-ci une production de rêve, et d’un rêve assuré par le statut et la pérennité d’un monument de la littérature universelle. Les brumes mêmes dont cette histoire s’enveloppe, et que les savants ne parviendront peut-être jamais à dissiper jusqu’au bout, ne seraient là que pour protéger l’espace de ce rêve, tout en l’invitant à voir chaque fois au-delà. (…) Proust, qui y découvrit, enfant, les Nuits sur les vignettes coloriées de vieilles assiettes de famille, lut le recueil toute sa vie, à travers Galland et Mardrus, et se prit à rêver être l’un de ses personnages, promeneur nocturne, tel Hârûn al-Rachîd, dans les rues de Paris ou de Venise. Nous n’aurons pas à aller si loin : là, à deux pas, les Nuits nous attendent comme un florilège de souvenirs, de rêves, de réponses aussi, à ce que demande, par-delà les limites de notre quotidien, la part la plus exigeante, la plus fertile de nous-mêmes.


André Miquel
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