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Abigail's party

+ d'infos sur le texte de Mike Leigh traduit par Marie Darrieussecq
mise en scène Arthur Nauzyciel

: Note d’intention

J’ai mis deux fois en scène ABIGAIL’S PARTY, à Boston puis Oslo. Cette pièce a une place singulière dans mon parcours. Incroyablement drôle, dont le kitsch relève davantage de la mélancolie que du cynisme, elle contient tous les thèmes que j’affectionne, et, comme LA MOUETTE, se révèle un manifeste sur la condition humaine et la nécessité de l’art dans nos vies. Tout ça avec beaucoup de musique disco, trop de maquillage et des brushings vintage. Inédite en France, bien que très connue dans les pays anglo-saxons et nordiques, ABIGAIL’S PARTY est aussi un objet théâtral, à la limite de ce que l’on pourrait appeler ici « théâtre de boulevard », et qui a connu jusqu’à aujourd’hui un succès exceptionnel, aussi bien dans des théâtres dits « commerciaux » de Broadway que dans des institutions nationales (dans les pays nordiques). Mike Leigh a étudié les Beaux-Arts, et on ne peut dissocier cette dimension de son parcours de l’engagement politique qui traverse son théâtre et son cinéma. La question de l’Art dans une société qui prône l’inculture comme valeur fait d’ABIGAIL’S PARTY une pièce plus sophistiquée que ce qu’on en fait généralement. Plus sombre et rageuse qu’elle n’y paraît, elle joue justement avec les codes du théâtre commercial pour faire une critique féroce de la société du spectacle et du consumérisme, de l’ignorance, du carcan imposé par les schémas et conventions sociales, et de la vacuité de nos vies : mettant en avant le vide du discours et notre impossibilité à rencontrer l’autre, jusqu’à la folie ou la mort, ABIGAIL’S PARTY est le chaînon manquant entre Beckett et Copi. Bien que située dans l’Angleterre de 1977, ABIGAIL’S PARTY n’a rien perdu de sa pertinence. Au contraire, malheureusement. Par effet miroir, mais aussi parce que la distance dans le temps nous rappelle où nous en étions en 1977 et ce que nous sommes aujourd’hui. Multiculturalisme, féminisme, consumérisme : en riant de ces gens et de leurs préjugés, de leur étroitesse d’esprit, devant un tel abandon et une telle absence de spiritualité, le travail du spectacle est d’en assurer l’effet boomerang. On a accusé à l’époque Mike Leigh de cruauté facile, on lui a reproché son manque d’empathie pour ses personnages. C’était faire fausse route, car c’est le spectateur qui est en jeu, c’est-à-dire nous, en 2013. Où en sommesnous de nos désirs, de nos aspirations, de nos propres valeurs et engagements ? Comment vivons-nous ?


Replacée au centre d’un dispositif scénographique bi-frontal, afin de casser le quatrième mur traditionnel du genre, la pièce devient objet d’étude, la pièce ET le regard sur la pièce ; le genre et la distance avec le genre, ce qui en rend le propos encore plus percutant, plus drôle et plus vertigineux. Cette scénographie permet d’en multiplier les points de vue, d’échapper à l’ornière du « boulevard » ou à la posture trop facile d’ironiser sur le « boulevard ». Elle révèle les mécaniques, crée de l’intimité, nous implique et nous convoque, joue de nous et avec nous. Cela peut faire peur…


ABIGAIL’S PARTY est une nuit des morts vivants, un palais des glaces dans lequel les images originales ont été remplacées par leurs reflets. On ne peut échapper à ces images mouvantes, glissantes. Un monde qui révèlerait, au-delà de ses apparences, une réalité pure, vraie, n’existe pas. Tout est mélangé. Nous devons vivre dans le flux...

Arthur Nauzyciel

janvier 2013

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