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ANIMA

Noémie Goudal ( Conception ) , Maëlle Poésy ( Conception )


: Entretien avec Noémie Goudal et Maëlle Poésy

Propos recueillis par Moïra Dalant

Né d’une collaboration entre une artiste photographe et une autrice, metteuse en scène, le projet ANIMA revendique son interdisciplinarité.


Maëlle Poésy : ANIMA est avant tout un travail de cocréation entre Noémie Goudal et moi-même, pour lequel nous avons souhaité collaborer avec deux artistes : la performeuse Chloé Moglia et la créatrice de musique électronique Chloé Thévenin. Nous avons conçu ce projet toutes les deux en sachant que nous allions mélanger nos écritures, la mise en scène pour ma part, la photographie pour Noémie. L’idée étant de travailler à la frontière de plusieurs disciplines, de permettre une recherche commune, et finalement de faire vivre et se compléter quatre créativités bien distinctes. C’est pour cela que nous nous attachons à qualifier ce travail de performance plutôt que de spectacle, il se situe à la croisée des arts visuels, photographiques, musicaux, vidéos et scéniques. Nous pensons même qu’il s’agit plus d’une expérience plastique. Les spectateurs s’installent en arc de cercle face à trois écrans sur lesquels sont projetés trois plans-séquences. C’est la recherche photographique de Noémie Goudal qui est à l’origine de l’ensemble.


Pourriez-vous alors revenir sur la naissance d’ANIMA ?


Noémie Goudal : ANIMA est comme un chapitre né d’un corpus de travail plus large intitulé Post Atlantica. Il s’agit principalement de séries de photographies et de vidéos montrant des décors qui s’altèrent et racontent la métamorphose des paysages. Post Atlantica se fonde sur mon intérêt pour les découvertes récentes en paléoclimatologie, une science contemporaine sur l’étude des climats anciens. Dans ce travail, je cherche à comprendre comment les scientifiques essaient de trouver des traces concrètes du passé pour interpréter les paysages qui sont connus de nous aujourd’hui. Ils retracent les différentes étapes climatiques, la manière dont un territoire autrefois glacé s’est métamorphosé, de quelle façon les mouvements des plaques tectoniques ont séparé les continents, et les traces visibles de ces unions ou séparations. Je me base sur des recherches très concrètes, sur des articles scientifiques pour aborder des concepts plus philosophiques. L’histoire de l’Afrique subsaharienne verte a par exemple inspiré le début de nos recherches pour ANIMA : le désert que nous connaissons a été, à une époque lointaine, un lieu de marécages rempli d’eau. Nous y retrouvons aussi les photos des palmiers-dattiers Phoenix qui sont visibles dans la première partie d’ANIMA. Pour faire les plans-séquences d’ANIMA, nous avons filmé un décor construit à partir de photographies de paysages végétaux et minéraux imprimées mais qui vont subir des métamorphoses dues aux différents éléments que sont le feu, l’eau, le vent... Cela nous permet d’évoquer l’idée d’un paysage en transition, d’un mouvement perpétuel. Ce qui nous questionne, c’est la manière de transposer ce rapport au temps. C’est pourquoi nous avons créé des plans-séquences très longs. Certaines pièces de Post Atlantica sont, par ailleurs, présentées aux Rencontres de la photographie d’Arles dans l’église des Trinitaires.


Avec ANIMA, les spectateurs sont plongés au cœur d’une temporalité qu’ils éprouvent physiquement...


N. G. : Nous cherchons à faire sentir la lenteur des modifications vécues par un territoire. Les paysages étant faits de strates de temps, plus nous descendons, plus nous remontons le temps. C’est la théorie du deep time, le temps profond qui permet de retracer les métamorphoses, les déplacements des plaques tectoniques. Grâce à la science paléoclimatique, il a été possible de trouver, dans les années 2000, les traces d’une jungle tropicale sous l’Antarctique. Sous des centaines de mètres de glace, des plantes datant de 52 millions d’années et qui se trouvaient au niveau de l’Équateur ont sédimenté et créé un gisement de houille ! Si ce projet pourrait aussi être compris comme une réflexion sur les changements climatiques qui nous inquiètent aujourd’hui, nous l’envisageons plus globalement. C’est réellement l’histoire de la planète, ses modifications invisibles des territoires, ces temps longs qui se comptent en millénaires, qui nous meuvent. Lors de notre passage sur Terre, nous n’avons pas le temps de la sentir bouger, nous avons un rapport de stabilité vis-à- vis du territoire, symbolisé par des limites claires, des frontières préétablies. ANIMA, c’est donc une recherche sur une autre perception, celle du monde tel qu’il est intrinsèquement, c’est-à-dire dans un mouvement perpétuel. Ces décors filmés, qui se construisent et se déconstruisent, sont alors une manière d’aborder cette métamorphose cyclique et lente, et de redonner un mouvement à ces territoires qui nous paraissent fixes.


Au sein de votre recherche sur notre perception des mouvements mais aussi de la fixité, vous avez souhaité inviter Chloé Moglia et Chloé Thévenin.


M. P. : Quand Chloé Moglia intervient dans le paysage, elle traverse un espace en déconstruction et interroge, par sa posture en suspension, une sensation de force et de fragilité mêlées. Son travail personnel s’articule souvent entre puissance et délicatesse, car elle provoque sa propre mise en danger en étant dans les airs. Elle est le présent absolu. Et les spectateurs se mettent à respirer en même temps qu’elle. C’est une très forte sensation de présent collectif. Nous nous sommes même demandé ce qu’était le présent, et notre réponse grâce à la présence de Chloé Moglia pourrait être : un instant aigu de ressenti. La métamorphose des paysages, le présent absolu de Chloé, nous conduisent à raconter la convergence des temps. Un passé qui nourrit un présent qui s’inscrit dans un futur. En plus, comme une nouvelle couche temporelle, nous entendons la narration musicale à partir d’une matière réelle, organique, physique de Chloé Thévenin. Son travail a une grande force. Ses rythmiques accompagnent et révèlent les émotions, fabriquent un écrin pour accueillir les sensibilités des spectateurs. Le son ajoute une clef de lecture supplémentaire aux images créées, pour offrir un discours parallèle aux narrations plastiques, filmiques et scéniques.

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