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A Disappearing number

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mise en scène Simon McBurney

: Entretien avec Simon McBurney

Avec Complicité, vous avez été l'un des pionniers d'un théâtre « multimédia », utilisant la technologie et favorisant la pluridisciplinarité : quel sens donnez-vous à votre travail aujourd'hui, où ce genre de pratiques s’est beaucoup répandu, et où le développement des nouveaux médias induit de nouveaux modes de réception des oeuvres d'art ?


Simon McBurney : « Votre question en contient une autre : qu’est-ce que la technologie ? et qu’est ce que la “pluridisciplinarité” ?
Mon père était archéologue, et je me rappelle qu’il faisait constamment référence aux avancées “technologiques” comme marqueurs des différentes phases du développement de l’humanité. Il brandissait alors deux outils en silex, et nous démontrait l’avancée technologique qu’impliquait la différence entre l’un et l’autre.
La technologie humaine change en permanence. Ces changements conditionnent notre culture. Le développement de certaines technologies lithiques a bouleversé les sociétés dans leur ensemble. La cueillette a ouverte la voie à l’agriculture. Et l’arrivée du métal, du cuivre et du fer, a jeté les bases d’avancées incroyablement rapides. Les premières villes furent créées.
Le nombre des changements a continué à croître de manière exponentielle – et jamais aussi rapidement qu’avec la révolution technologique que nous vivons actuellement. Un jour, on ne considérera plus la révolution industrielle – dont est issu le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui – que comme un simple phénomène précurseur de cette révolution bien plus complexe et bien plus vaste de l’ère digitale.
Au théâtre, nous sommes comme des pies voleuses. Nous utilisons tous les moyens à notre disposition pour communiquer. Je suis sûr que la première fois que les hommes ont raconté des histoires, ce fut la nuit. Auprès d’un feu. Et que la lueur de celui-ci était un stimulant essentiel à l’acte d’imagination. Dès que l’électricité a été inventée, nous l’avons utilisée au théâtre. Pour éclairer. Pour émouvoir. Pour faire se mouvoir l’imagination du public.
Le théâtre a toujours été une forme “multidisciplinaire”, qui se sert d’outils pour opérer des transformations. Les gens deviennent des marionnettes, les visages des masques, les gestes une chorégraphie. Pour transformer le quotidien en merveilleux, pour faire de nos actes de tous les jours un geste épique. Afin d’y parvenir, nous avons besoin de contrôler nos outils. Savoir manipuler une marionnette, savoir porter un masque – tout cela, au service de l’histoire qui est racontée.
Il en va de même pour moi : pour raconter une histoire, j’utilise aussi tout ce qui se trouve à portée de main. Quel que soit l’outil, quelle que soit la technologie, qu’il s’agisse de la vidéo, du son enregistré, de la lumière électrique. Mais ce qui est essentiel ici, c’est que la technologie en elle-même n’est pas importante. Elle reste et restera toujours un outil. L’essentiel, c’est l’histoire que vous racontez, ce que le public voit. Parce qu’à la fin, le théâtre n’existe que dans l’imagination du spectateur.


Pourquoi avoir choisi la figure de Sriniva Ramanujan et le monde des mathématiques comme points de départ de ce spectacle ? Et pourquoi ce titre : A Disappearing Number ?


Simon McBurney : « Quand on m’interroge ainsi sur l’origine d’un spectacle, j’ai du mal à savoir par où commencer. Parce que je ne sais jamais exactement où se situe le commencement. Quelque commencement que ce soit. Je crois que l’idée même d’un commencement est une illusion. Cela commence-t-il avec le premier acteur sur la scène ? Avec le lever du rideau ? Au moment où les spectateurs pénètrent dans la salle ? Au moment où ils décident d’aller au théâtre ? La réponse la plus simple à votre question est que l’on m’a donné un livre. La personne qui me l’a donné était un écrivain et un ami, Michael Ondaatje. Ce livre, c’était L’Apologie d’un mathématicien de G. H. Hardy. Ce qui m’a frappé lorsque je l’ai lu, c’est qu’au lieu d’avoir trait aux mathématiques, je me suis aperçu que ce livre parlait de la créativité, de toutes les formes de créativité. Et c’est là que c’est devenu excitant : lorsque j’ai réalisé que le bond de l’imagination qui se produit lorsque l’on crée une oeuvre d’Art est le même que celui que connaissent les mathématiciens lorsqu’ils recherchent de nouveaux “patterns”. “Patterns”, c’est le mot clé : un mot intraduisible en français, tout comme le mot élan est intraduisible en anglais. Il y a bien sûr des équivalents, mais aucun n’est vraiment exact. C’est pourtant la clé de la raison pour laquelle j’ai choisi ce sujet et l’histoire de Ramanujan. Il me semblait que le pattern de l’histoire avait tellement de résonances. Non seulement des résonances sociales, historiques et mathématiques, mais aussi des résonances plus personnelles et plus contemporaines. Et, à la manière d’un mathématicien décidant que l’une de ses pistes de recherche est celle qu’il faut suivre, tout simplement parce qu’il a le sentiment que c’est juste, j’ai suivi cette histoire, simplement parce que je sentais que c’était ce qu’il fallait faire.
Quant au titre, il provient d’une conversation avec l’écrivain John Berger. Nous regardions une photo de Ramanujan. Ses yeux, en particulier. John a écrit quelque chose.
Il disait : “Ramanujan a les yeux d’un homme qui regarde intensément quelque chose en train de disparaître. Mais dans cette disparition, il y l’attirance d’une apparition. Les mathématiques seraient-elles la résolution de ce paradoxe ?” De là est venu le titre.


Comment construisez-vous vos spectacles – comment, ici, s'est faite l'articulation entre l'aspect visuel, la composition musicale de Nithin Sawhney et l'écriture du texte ?


Simon McBurney : « Je répondrai : avec difficulté. Car je suis avant tout un storyteller. Et comme tous les storytellers, j’entends le rythme de l’histoire comme celui d’un morceau de musique, et la musique fait donc partie de cela. Comme tous les storytellers, je sais que je veux amener les spectateurs à voir quelque chose “à l’intérieur d’eux mêmes” – et le contenu visuel de la pièce est là dans ce but. Et tout part de l’écriture et revient à l’écriture : par “écriture”, je n’entends pas seulement les mots, mais la signification de ce que l’on montre. Rien, dans une bonne histoire, n’est décoratif. La décoration ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui émeut les gens.


Vous avez imbriqué l'histoire de la rencontre entre Ramanujan et G.H. Hardy à Cambridge avec quatre histoires se déroulant dans le monde contemporain, sur différents continents : qu'avez-vous essayé de faire avec ce spectacle ?


Simon McBurney : « Au sujet des différentes histoires qui se dénouent en même temps, parfois, les gens me demandent si cela n’engendre pas de la confusion. Je crois qu’aujourd’hui, nous sommes environnés de plus de fiction que nous n’en avons jamais connue dans l’histoire ou la préhistoire. Avant même de sortir de chez soi, on a déjà croisé des dizaines d’histoires. Et on en croise des dizaines d’autres en marchant dans la rue : des gens qui nous entourent, des affiches publicitaires ou des écrans de télévisions que nous voyons se dégagent des torrents de fiction ; tout au long de la journée ; chaque jour.
Nos cerveaux ont appris à naviguer dans ce monde fantastiquement complexe, ce monde aux mille histoires dans lequel nous vivons. Nous pouvons établir des rapprochements. Relier des choses et construire des patterns, des modèles : car en le faisant, nous donnons du sens à tout cela. Et en donnant du sens, cela nous apparaît comme un tout. De même, lorsque nous mettons ensemble ces histoires, les rapports sont parfois évidents. Mais parfois, ils se contentent de “carillonner” : cela permet au spectateur de créer ses propres modèles à partir de ce que nous lui montrons.
Je ne cherche jamais à expliquer quoi que ce soit au public. Je veux l’inviter à un voyage. Et j’aimerais qu’il en retire ce que l’on retire de tout voyage, à partir du moment où l’on en fait partie : des panoramas magnifiques, des perspectives changeantes, différentes conditions météorologiques, un sens du paysage et du drame. Autant de choses qui sont des réactions conscientes. Mais comme dans tout voyage, il se passe aussi quelque chose d’autre. Quelque chose qui dépasse les mots. Quelque chose d’inconscient. Et ce que j’espère toujours, c’est que ce quelque chose puisse toucher les gens d’une manière qu’il n’arriveront jamais à décrire, et les accompagner, de quelque façon que ce soit, aussi infime cela fût-il, pour toujours. »


Propos recueillis par David Sanson pour l’édition 2008 du Festival d’Automne à Paris

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