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9 MM

+ d'infos sur le texte de Lionel Spycher
mise en scène Thierry Panchaud

: Entretien avec Thierry Panchaud

Quelle est la genèse de ce spectacle ?


Thierry Panchaud: David Valère, qui interprète le rôle d'Alfa Allamodio, est à l'origine du projet. Il cherchait une pièce où il aurait envie de jouer et ses recherches l'ont mené au texte de Lionel Spycher.
Je connaissais déjà David pour avoir travaillé avec lui en 2001 sur Onysos le furieux de Laurent Gaudé, projet qui n'a finalement jamais abouti.
Lorsqu'il a organisé une lecture de la pièce, il m'a demandé d'y assister et m'a proposé ensuite d'en faire la mise en scène.
Je lui suis reconnaissant. J'ai découvert grâce à lui l'écriture d'un auteur dont je n'avais alors qu'entendu parler, notamment lors de la création de sa première pièce, Pit bull, dont 9MM est en quelque sorte le prolongement.


Quelles étaient vos envies en créant 9MM ?


T. P.: Pour 9MM, j'avais envie de surprendre en m'éloignant le plus possible de la dimension réaliste que semble impliquer le fond social de la pièce. De plus, le fait qu'il s'agisse pour moi avant tout d'une tragédie m'a engagé à chercher ce que pourrait être un espace tragique aujourd'hui en référence à celui de la tragédie grecque, c'est-à-dire un espace non-réaliste, symbolique et dépouillé.
Je voyais un espace presque vide que les personnages investissent de leur parole ou de leur présence silencieuse, puisque dans cette pièce, les personnages se départagent de manière très claire entre ceux qui parlent et ceux qui se taisent. Je voyais aussi un lieu d’errance et d’affirmation où ceux qui errent ne sont peut-être pas ceux que l’on croit, dans la mesure où, ici, l'errance est surtout celle de la parole.
Gilles Lambert a su traduire mes intentions dans la scénographie tout en me surprenant. Il a dessiné une perspective, un banc, des entrées multiples et au loin, une fenêtre, à la fois écran de projection pour des effets de lumière, fenêtre de laquelle tombe l'enfant de la pièce et ouverture métaphorique sur une autre vie, un autre monde, auquel rêvent sans doute les personnages.
On retrouve ainsi quatre éléments clés de la scène tragique : le proskènion, l'espace de jeu ; la thymélé, l'autel du sacrifice ; la skènè, le lieu de l'invisible et des Dieux et les entrées multiples.


A votre avis, que nous dit la pièce ?


T. P.: La fable cachée sous l'histoire de la pièce est à mon sens celle de deux hommes qui croient pouvoir contrôler leur destin alors qu'ils sont en réalité les jouets de leur propre fiction, mélange d'apparences, de volonté de pouvoir et de désir matériel.
A travers cette fable, la pièce nous parle des obsessions et des mythes de la société actuelle où l'homme est requis de manière contradictoire à être réaliste, entièrement responsable de sa vie, et donc à la contrôler, et à la fois de céder aux désirs, aux pulsions et aux fantasmes afin d'alimenter la machine économique de cette même société.
A sa façon, la pièce nous dit qu'à prendre nos illusions pour des réalités, nous risquons de payer le prix fort pour notre erreur, comme certains héros de la tragédie grecque voient leur vie basculer à cause des dieux, ces grands pourvoyeurs de destins tragiques, qui s'ingénient à en perturber le cours. S'il y a des dieux dans 9MM, ce sont les fantasmes et les désirs que notre société suscite parfois en nous à notre corps défendant.
D'une certaine façon, la pièce montre le destin tragique de personnages qui cherchent à se conformer à ce que la société attend d'eux à travers son discours libéral de la réussite et de l'image idéalisée qu'elle donne de la réalité à travers la publicité et la communication. Ils nourrissent des rêves qui ne sont pas les leurs, ils les prennent très au sérieux, en fait trop, et comme ce ne sont pas des supermen, ils échouent. Ils meurent, en quelque sorte, d'avoir désappris à désirer leur véritable désir au profit de ceux fabriqués pour eux par d'autres.


Que pouvez-nous dire des personnages ?


T. P.: Outre ce que j'ai déjà dit d'eux, qu'il y a les volubiles et les taiseux, ils représentent tous à leur manière des archétypes.
Il y a Kléber, le parvenu ambitieux et petit mégalomane, Bruno, le délinquant de banlieue, pion jetable de notre société, Alfa Allamodio, émigré, originaire d'un pays africain qui croyait trouver l'eldorado en France, Nathalie Mlinek, la fausse ravissante idiote que son patron oblige à coucher et la mère, sacrifiée sur l'autel de la rentabilité et au bord de l'anéantissement physique et psychique.
La force de l'auteur est, tout en jouant de ces archétypes tels que les construisent les médias, de parvenir en fin de compte à donner à ses personnages une dimension surprenante qui les arrache à leur condition initiale pour en faire, une fois leurs rêves et leurs illusions détruites, des individus à part entière, avec leur vérité et leur part d'humanité.
Enfin, il y a le personnage absent, celui qui déclenche le drame : l'enfant. De lui, on ne saura pas s'il a glissé par accident du rebord gelé de sa fenêtre, s'il s'est tombé par culpabilité ou si, comme il le prétend, il s'est envolé pour prendre de la hauteur dans un monde qui en manque singulièrement.
Selon moi, il est sans doute celui qui, pour des raisons encore confuses vu son âge, choisit le parti de la mort comme un ailleurs porteur de plus de promesses que la réalité à laquelle il est confronté. Il est la victime innocente de cette pièce, dans le sens où il n'a pas encore les moyens de se défendre.
Quel est le nœud central de la pièce ?


T. P.: Le nœud central de la pièce est le duel qui oppose Kléber, le gérant du supermarché, et Bruno, le délinquant. Il s'agit avant tout d'un duel de mots où les duettistes parlent de la même chose et poursuivent le même but. Ce qui les oppose n'est pas une conception différente de la vie, mais un conflit d'intérêt lié à l'argent.
Le duel central est redoublé dans les conflits périphériques où les personnages s'opposent par couple. Lionel Spycher les travaille par touches et construit une structure de récit très cinématographique : un enchaînement de séquences courtes, des changements et juxtapositions de lieux instantanés et de nombreuses ellipses. Cette construction donne à la pièce sa dynamique particulière et originale, d'autant plus que la langue, au contraire de la structure du récit, reste, en ce qui la concerne, complètement théâtrale. Plus que de nœud, on peut parler ici d'un noyau du récit, un noyau délibérément éclaté.


Comment allez-vous travailler la mise en scène ?


T. P.: Pour moi, l'enjeu essentiel qui m'a intéressé très vite était de jouer ce texte d'une manière très actuelle dans un espace inspiré de la tragédie grecque. Pour y parvenir, il faudra trouver dans le travail avec les comédiens, le jeu qui y correspond le mieux, un jeu sans appui où tout est dans le rapport de la parole énoncée, des corps qui l’énoncent et les lignes de force qu'ils dessinent dans l’espace en s’affrontant.
Nous travaillerons sur une dynamique élémentaire de jeu qui repose sur une diction et une gestuelle à la fois simple dans leur principe et complexe dans leurs enchaînements.
Concrètement, nous allons élaborer un ensemble de gestes, de déplacements, de rapports physiques et d'intonations qui soient autant de signes sonores et visuelles propre à exprimer le thème central, cette volonté de contrôle qui oublie que la vie est plus complexe que la projection qu'on s'en fait.
La mise en scène jouera également sur une notion de distance émotionnelle, d'hystérie contrôlée et de violence froide pour mettre en lumière la mécanique implacable de la pièce, manière de souligner la dimension de tragédie que j'y ai vue.
Le dépouillement du jeu, pour moi, est essentiel pour parvenir au moment où les personnages s'arrachent de leur archétype pour devenir des individus. Cela arrive lors des deux finals de la pièce. L'un est très noir, les personnages, en mourant, comprennent qu'ils sont leur propre victime, et l'autre, est lumineux : une mère, après avoir perdu ses deux enfants, dit à la fois qu'elle a décidé de vivre et que c'est là le destin. En une scène très courte, en écho aux conclusions du chœur grec, elle nous rappelle avec sobriété un fait simple : la vie est un mélange de libre-arbitre, de contrôle et de hasard, une définition possible du destin, notion qui traverse toute la pièce.
En plus de prolonger mon travail précédent, cette manière de faire, au vu de discussions avec d'autres metteurs en scène, semblent dessiner une réelle interrogation quant à une évolution du jeu des comédiens nécessaires à traduire dans toutes leurs forces et leurs variétés, les spécificités de l'écriture théâtrale contemporaine.


A propos d'écriture, vous avez résidé les trois derniers mois de l'année dernière comme écrivain à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Quel est le rapport entre l'écriture et la mise en scène ?


T. P.: Hormis la dimension de mots mis en paroles, le rapport essentiel pour moi est le suivant: avec l'une et l'autre, je me pose la même question. Qu'est-ce qu'un projet d'écriture cherche à me faire écrire et quelle mise en scène cherche à me faire faire un texte?
Pour 9mm, tant que le travail de plateau n'est pas commencé, au fond, je ne sais pas ce que va être la mise en scène. J'ai des intuitions, et c'est pour cela que je retourne le texte dans tous les sens avant d'en fixer quelque chose.
Mais pour moi, cela reste théorique jusqu'à la confrontation au plateau. Le travail préparatoire sert à se mettre en condition de reconnaître la forme que le texte veut prendre dans les conditions qui sont celles de cette mise en scène particulière.
Pareillement, pour un texte, j'écris beaucoup avant que ne se dégage du travail déjà accompli, un thème, une forme, bref, une pièce.
Comme 9MM dit d'une manière ou d'une autre : la vie est un mélange de hasard et de libre-arbitre, l'écriture est pour moi une activité qui se joue aux frontières du subconscient et de la conscience. On croit tout maîtriser, mais c'est une illusion.
Il y a aussi un rapport essentiel entre la solitude de l'écriture et l'aspect communautaire, festif du plateau. Dans un cas, vous êtes confronté à vous-même et à votre nécessité d'écrire et dans l'autre, vous êtes confronté à un texte et à tous ceux qui participent à sa mise en scène. En jouant sur les deux tableaux, je satisfais mon côté solitaire et mon côté sociable.

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