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Joël Hourbeigt

France

Portrait

D'heureux concours de circonstances m'ont amené au théâtre. J'habitais dans le Limousin, je n'avais jamais mis les pieds dans un théâtre avant d'être embauché comme machiniste et mes contrats ont été prolongés au fur et à mesure... J'ai comme ça navigué de poste en poste, avant d'atterir à la lumière et très vite, j'ai fait des éclairages en tournée. Mon travail a été remarqué par le Théâtre de l'Aquarium où je suis entré en 1978 et j'y suis resté plusieurs saisons, puis j'ai eu envie de diversifier mes expériences en lumière.

J'avais fait des études de psycho et je n'étais pas du tout destiné à exercer cette profession. Ce sont les gens qui décidaient pour moi, en me proposant de faire les lumières de leurs créations et j'ai appris sur le terrain, avec la pratique. J'ai l'impression que c'est devenu mon métier sans que je l'aie décidé un jour. C'est maintenant que je me rends compte, ça a glissé doucement, et je ne sais presque plus rien faire d'autre. (rires)

Pour parler de la technique, je dirais qu'il y a eu une grande évolution dans l'informatisation des pupitres de commande qui a bouleversé la manière de travailler et qui a créé de nouveaux postes. C'était laborieux de faire des préparations à la main, le matériel permet aujourd'hui des manipulations très rapides. C'est une autre manière de pratiquer la lumière. Les projecteurs se sont améliorés dans leur performance, leur qualité optique. Il y a une gamme plus large des machines à lumière et chaque année apporte une amélioration technique mais il n'y a pas eu un moment précis où tout a changé. Chaque appareil a une qualité de lumière spécifique et j'ai des manies ou des manières de faire mais il n'y a pas un projecteur avec lequel je travaille plutôt qu'un autre, tout simplement parce qu'aucun n'est interchangeable. On a une gamme d'outils, tous différents, on ne peut pas remplacer une scie par un marteau...

Généralement, la lumière est une discipline asservie, à la disposition, qui a pour rôle de se mettre au service de la représentation, bien qu'elle puisse prendre en charge le plateau et tenir un rôle important... D'une manière générale, j'ai l'impression d'avoir toujours la même attitude de disponibilité quelque soit le metteur en scène avec lequel je travaille, je me pose toujours les mêmes questions, mon regard ou ma manière d'analyser n'est pas sous influence particulière. Par contre, ce qui fait la véritable différence, c'est la personne avec laquelle on travaille. C'est elle qui oriente le projet, donc qui m'amène à aller avec elle et j'essaie, quand le projet est très ambitieux, que ma lumière ait la même pertinence et les mêmes qualités que celles du metteur en scène, du décorateur, des acteurs. Que ce soit avec Alain Françon ou des gens avec lesquels j'ai un compagnonnage depuis plusieurs années, j'essaie d'abord de comprendre le projet et de raconter la même histoire que la leur, avec mon vocabulaire, qui n'est pas le même que celui du metteur en scène : au début d'un projet, le texte circule, des documents, des photos, des reproductions de peinture, ce qui donne déjà une idée de la création, ensuite le travail du décorateur met en forme. Je donne mon appréciation au niveau de la pré-maquette puis une maquette plus ou moins définitive se dessine et on parle plus précisément de la lumière, comment elle va s'inscrire dedans. Une fois que le projet a été décidé, j'essaie de prévoir, d'anticiper la manière

dont les choses vont être données à voir. Le décor porte déjà une vérité en lui, sa propre force et j'assiste à quelques répétitions qui sont des rendez-vous pour tout le monde et pendant trois semaines environ, je suis le travail de répétitions, la lumière s'élaborant peu à peu. Chaque décor dicte sa loi et le travail d'éclairagiste est aussi un travail de caméléon.

La lumière du jour et ses observations climatiques sont la référence ultime pour moi, c'est ce qu'il y a de plus spectaculaire et d'extraordinaire à observer. Ce qui fait souvent la lisibilité d'un éclairage, c'est la qualité de l'ombre qu'il propose. Un éclairage est émotionnellement fort et souvent juste quand son ombre est très nettement dessinée, qu'elle est unique et que sa lisibilité ne pose aucune question. Ce qui fait le caractère de l'ombre, c'est sa force d'évidence. La véritable question de l'éclairage c'est la question de l'ombre, qui révèle la qualité de la lumière. L'ombre projetée d'un acteur sur un plateau, sa direction, dénonce la localisation de la source et quand l'ombre est unique, c'est comme si le spectacle était mis sous le regard d'un seul oeil, d'une seule personne. Je ne sais pas comment l'expliquer... cela rend le discours un peu plus épique, pas mystique mais transcendé par le fait d'avoir un regard unique. Une ombre portée très franche lui donne une dimension spirituelle ou métaphysique. De ne pas avoir d'ombre et de faire un éclairage très enveloppant, est porteur d'une autre émotion mais il n'y a pas qu'une vérité, ni aucune vérité scientifique que celle du plateau. On a beau raisonner, au moment où on fait la lumière, on sait si l'état lumineux qu'on propose est pertinent par rapport aux enjeux de la scène en train de se dérouler, si c'est en accord, si ça joue avec ou contre. On ne peut le vérifier que sur le plateau. Après, il y a des hasards ou des accidents heureux ou malheureux qui se produisent aux réglages et qui ouvrent d'autres possibilités ou perspectives.

Pour Le Voyage à la Haye... Jean-Luc Lagarce a disparu quand il faisait la mise en scène de Lulu de Wedekind à l'Athénée et je faisais l'éclairage de cette création, François Berreur a terminé la mise en scène et j'avais connu François quand il était assistant de Jean-Luc quelques années auparavant pour La Cagnotte. Pour Le Voyage on a réfléchi sur ce texte, comment le porter ensemble sur un plateau, et s'est imposée cette vision d'une personne souvent en déplacement. Le lieu vers lequel on pouvait toujours se retourner était un lit, qui pouvait être un lit d'hôpital, de chambre d'hôtel... C'est un lieu intime et on a posé ce lit devant le ciel, avec sa lumière et cet espace qui nous entoure, nous influence sans qu'on le mesure toujours, le soleil qui luit... C'est censé être aussi un lieu de confidences, de repli sur soi ou d'ouverture au monde et il y a des moments où le discours se met à résonner de manière particulière dans la qualité et l'évolution du ciel qu'on propose derrière. Il y a eu beaucoup d'essais de faits, et il nous paraissait plus juste de mettre un ciel très blanc plutôt qu'obscur ou plutôt chaud que froid, cela a été une mise à l'épreuve. Parallèlement, il y avait le champ de l'image qui se retrécissait, comme s'il y avait quelque chose d'inexorable dans le fait que la nuit arrive. Cela s'est décidé en le faisant, c'était émotionnellement très très fort parce qu'il y avait la parole de Jean-Luc qui était quelqu'un de proche pour nous. Chacun a raconté son histoire au plus juste de ce qu'il croyait être, de ce qu'il devait devoir rendre compte. J'ai réagi d'une manière complètement épidermique au travail d'Hervé, je poussais un peu les boutons dès que s'installaient des climats et au fur et à mesure, j'ai enregistré les états lumineux qui étaient en perpétuelle évolution, sans jamais trop me dire "Je vais démarrer là ou je vais faire un lever ou un coucher de soleil ou autre chose". Juste une réaction aux tensions du plateau. Sur les consoles, il y a

des aiguilles qui indiquent les crêtes de son et des intensités avec des vu-mètres et c'était comme si j'étais un vu-mètre et que je me mettais à réagir de manière épidermique. Cela s'est fait comme ça. Je ne suis pas sûr qu'à Saint-Denis je referais le même registre. Je n'arrive pas, en tournée, quand on me demande d'intervenir à nouveau sur un spectacle déjà créé, à refaire la même chose. Entre temps, mon regard sur le spectacle a un peu changé, j'ai pris de la distance.

Paradoxalement, j'ai l'impression qu'il y a toujours qu'une seule manière de rendre compte d'un spectacle et quand je revenais sur ce que j'avais fait, c'est que je n'avais alors, pas solutionné quelque chose qui me posait question. Dans la manière globale d'éclairer un spectacle, à la fin de la création je veux avoir le sentiment d'avoir trouvé la meilleure manière de le faire, ça peut paraître prétentieux, mais c'est un peu ça. Après en tournée, avec toujours les mêmes armes, je peux aller à l'essentiel, à la radicalité, plus vite. Pour éclairer un lieu théâtral en extérieur ? Ce qui le différencie d'un théâtre, c'est la prise en compte de tous les bruits autour : les martinets dans la cour à dix heures, la ville qui se calme et s'apaise peu à peu, la lune, pas la lune, les astres, la pluie, le vent et c'est une mise en condition de l'écoute importante. Techniquement, c'est un peu différent quand on n'a pas de possibilités d'accroche des projecteurs ou qu'elles sont dictées par le lieu lui-même. On ne peut pas tricher en s'inventant d'autres accroches, c'est le lieu qui autorise ou pas.Il y a des lieux tellements puissants, ce sont eux qui sont le décor, l'environnement principal et unique. Il peut y avoir un décor qui essaie de prendre désespérement sa place. Ce qui est terrible, c'est quand le lieu est plus fort que le décor. Des fois, il vaut mieux ne pas toucher au lieu. On ne peut pas tout jouer n'importe où. Il doit y avoir une nécessité, quelque chose d'impérieux à jouer devant une falaise, une architecture, sur un parvis de cathédrale, sinon c'est un dur combat. En fait, j'aime particulièrement les salles à l'italienne, je pense au Théâtre de l'Odéon, juste et favorable dans le rapport scène-salle, Le Châtelet et à une échelle plus petite, le Théâtre de l'Athénée.ou l'Opéra-Comédie de Montpellier, l'Opéra de la Bastille.

Maintenant, je passe la plupart de mon temps à faire des créations lumière pour l'Opéra qui m'a donné un choc très fort, c'est un peu ma "drogue dure", pour les voix en particulier, la musique, la fragilité, la peur motrice qui est présente tout le temps. La prise de risque a l'air plus terrible chez les chanteurs que chez les acteurs, je ne sais pas si les difficultés sont comparables mais la fragilité qui précède les moments de la représentation est impressionnante, les oeuvres sont tellement exigeantes. Les chanteurs ont statistiquement huit chances sur dix de passer la note, s'ils n'y parviennent pas, c'est une punition terrible et la sanction est immédiate. Beaucoup plus de personnes sont concernées sur le plateau. Je viens de faire le cycle de la tétralogie de Wagner en Australie et la prochain création à laquelle je participerai aura lieu à l'Opéra Bastille avec Pierre Strosser qui met en scène Wozzek. On va essayer de montrer que le personnage de Wozzek est toujours sous pression, sous le regard, le jugement d'autrui, il va d'humiliation en humiliation et c'est cette pression qui l'amène à commettre ce crime. L'oeuvre est très découpée, avec des ellipses de temps, dans le livret, Wozzek n'est pas dans toutes les scènes et là, il sera dans une continuité de présence. Ce qui est complètement juste à la lecture.

Quand j'ai fait La Princesse de Clèves avec Marcel Bozonnet, je me suis inspiré d'une toile de l'oeuvre de Mark Rothko. On m'avait offert une reproduction d'une de ses peintures en 70, je l'avais accrochée au mur et elle m'a accompagnée pendant des années. Puis je l'avais perdue de vue, jusqu'à ce que je fasse des recherches de décor pour cette création et je redécouvre aujourd'hui, il est immense, immense.

Propos recueillis par Marie Raymond Extrait du programme - Théâtre Gérard Philipe


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