theatre-contemporain.net artcena.fr

Z

+ d'infos sur l'adaptation de Effi Theodorou ,
d'après Z de Vassilis Vassilikos
mise en scène Effi Theodorou

: Z revit sur scène

Le 22 Mai 1963, Grigoris Lambrakis, 51 ans, député indépendant qui avait adhéré à la coalition de Gauche, est assassiné en pleine rue à Thessalonique où il venait de présider une réunion pacifiste. Vingt ans auparavant, juste après la fin de la Seconde guerre mondiale, la Grèce est secouée par une implacable lutte fratricide entre communistes et nationalistes. L’assassinat de Lambrakis s’inscrit dans la continuité de cette lutte fratricide. Toute la ville de Thessalonique est impliquée dans ce complot, des gens du peuple comme de hauts responsables d’institutions telles que la Police et la Gendarmerie...


Cet assassinat politique est dévoilé grâce à l’enquête sérieuse et courageuse du juge d’instruction, du procureur et de trois journalistes qui se sont jeté corps et âme dans cette affaire. Deux mois plus tard, le Premier ministre Costas Caramanlis est obligé de donner sa démission provoquant ainsi la chute du gouvernement de droite de l’époque. Le parti Démocratique de la Coalition du Centre menée par Georgios Papandreou gagne les élections de 1963, mais en 1967, la dictature s’installe en Grèce, jusqu’en 1974.


Entre temps, en décembre 1966, le procès de l’affaire Lambrakis a lieu. Le verdict ne rend pas justice au mort : « Lambrakis n’a pas été assassiné » et les accusés, ses assassins, sont innocentés. Certains morts suscitent parfois au sein d’un peuple entier de si profonds échos, éveillent des émotions si profondes et si durables qu’ils deviennent des symboles. Tel est le cas de Lambrakis. En supprimant un orateur gênant, les assassins ont créé un héros. En lui prenant la vie, ils lui ont conféré l’immortalité.


Les 100 000 personnes qui suivirent le cortège funéraire en silence à Athènes affirmaient que ses espoirs, sa volonté et sa présence en leur sein resteraient intacts. C’est pourquoi, quand Vassilis Vassilikos décide d’entreprendre l’autopsie littéraire de cet assassinat politique, il choisit pour titre la lettre Z, lettre symbole de vie et de résurrection : Z – zei, « il vit ».


A l’aide du matériau constitutif de la procédure judiciaire, Vassilikos écrit Z en vingt jours, en 1966, trois ans après l’assassinat, et le sous-titre « Roman imaginaire d’un crime ». Au cours des 500 pages, il étudie de façon minutieuse l’instruction, le procès et traque le mécanisme qui fait d’un homme un assassin et toute une caste, son complice.


Z appartient à la catégorie de « non-fiction novel », comme le roman de Truman Capote À froid (ou Sang-froid) que Vassilikos venait de lire. À mi-chemin entre la fiction et le document, Z est sur le plan formel, un roman d’avant-garde et un témoignage essentiel sur la Grèce des années 60 ; infiniment plus important qu’une simple analyse, c’est une oeuvre littéraire où des pages d’un lyrisme poignant font entendre les angoisses et les passions qui parcourent le chant intérieur de Lambrakis, celui d’une terre tragique et d’un peuple déchiré.


Paru en grec en 1966, Z est interdit par la dictature en 1967, bien que Vassilikos ait remplacé les noms des protagonistes par ceux d’animaux, dont certains que je trouve beaux et insolites comme Ichtyosaure, Mastodonte, Brontosaures, Ptérodactyles, noms de rapaces ou de monstres préhistoriques qui désignent ici les anthropoïdes qui tiraient les ficelles du crime.


Z connait une suite extraordinaire. En 1969, le réalisateur grec Costa-Gavras, installé depuis longtemps en France, demande à Vassilikos, exilé en Italie, l’autorisation de tourner un film à partir de Z. Le grand écrivain Jorge Semprun réalise le scénario et le film est tourné en Algérie. Il rencontre un succès mondial et fait ainsi connaître à tous la situation politique de la Grèce, alors soumise à la dictature.


Le scénario de Semprun expose la succession des événements : les préparatifs du crime, l’arrivée de Lambrakis à Thessalonique, l’assassinat, les enquêtes, le verdict. Avec Z, Costa-Gavras réalise un film politique d’action qui marque l’histoire du cinéma.


En 2011, dans le cadre de la programmation des deux saisons suivantes du Théâtre National de Grèce (2011-2012- 2013), Yannis Houvardas et moi souhaitions interroger la notion d’identité nationale – « Qu’est-ce que notre patrie ? » – à travers des oeuvres majeures issues soit de la dramaturgie grecque, soit de la dramaturgie étrangère mais inspirée des mythes grecs. C’est ainsi que j’ai proposé d’adapter et de mettre en scène Z.
Je pressentais qu’il y avait quelque chose à redécouvrir dans ce roman et que cette époque n’était pas si éloignée de la nôtre. Je ne me suis pas trompée…


Pour l’adaptation, je me suis entièrement appuyée sur le roman de Vassilikos. Certes, j’ai consulté bien d’autres livres et documents sur l’événement réel (témoignages et mémoires des journalistes qui ont suivi l’affaire, articles de presse de l’époque, analyses politiques) et ai transmis cette matière aux acteurs au début des répétitions, mais le texte du spectacle s’inspire directement du roman. Je l’ai simplement structuré différemment.
J’ai réalisé un montage du premier montage de Vassilikos, une sorte de montage de « deuxième degré », en supprimant des chapitres pour assurer une durée et une efficacité scéniques et en intervenant sur la structure du roman.


Le plus important quand on tente d’adapter une oeuvre littéraire pour la scène, est d’arriver à repérer le noyau qui assure la tension dramatique. D’après moi, ce noyau, dans Z, se situe dans le monologue intérieur du personnage central, le député Lambrakis, lorsqu’il dit : « Il faut que je parle ». C’est ce monologue que j'ai choisi pour ouvrir le spectacle et introduire l’action. À ce monologue répond le choeur des acteurs – des personnes plutôt que des personnages : « les morts ne parlent pas ». Cet axe parcourt le spectacle du début à la fin et de lui découle la présentation des événements et des actions narrés par Vassilikos dans son roman.
Cette intervention est importante car elle place le récit à un autre niveau et ouvre d’autres perspectives à la lecture de l’oeuvre et de la représentation ; plus ontologiques, plus philosophiques.


Le fantôme – le spectre – un acteur – Z…, est présent dès le début. Il prend la parole au micro, il lance un défi à ses collègues – le choeur des acteurs qui a pris place sur la scène autour d’une table et écoute silencieusement –, il lance un défi au public, il déclare qu’il faut qu’il parle de ce qu’il a vu, vécu, appris, de ce qu’il adviendra. C’est une demande d’autrefois et de maintenant, pour demain et pour toujours.


Nulle part ailleurs qu’au théâtre les morts ne nous parlent ; d’où ce dialogue entre le mort et les vivants. C’est au théâtre aussi que notre histoire récente peut se transformer en art. C’est au théâtre toujours que peut se poser la question centrale de Z : comment oeuvrer pour une vie meilleure telle que Z l’avait rêvée, une vie dans la paix, l’égalité, une vie qui redonne confiance en l’autre et en la justice ?


Ainsi, l’exposition de l’assassinat de Lambrakis-Z, ne se présente pas uniquement comme une dénonciation d’une vie politique corrompue ou comme la déploration d’une personnalité brillante sacrifiée à l’autel du fanatisme mais elle devient une occasion de réfléchir tous ensemble, les participants et le public, à la « raison primaire des choses », comme dit Vassilikos. Et cela aussi, l’acte théâtral le permet.


L’adaptation devait répondre à un second enjeu : trouver l’équilibre entre les parties dites d’action, peu propices à être représentées sur une scène – on ne peut pas y figurer l’assassinat, la chasse à l’homme dans la ville, tous les détails réalistes, terrain favori du cinéma d’action – et les parties lyriques – monologues intérieurs des personnages principaux : Z, sa femme, le juge d’instruction, le journaliste – dont le magnifique chapitre « Un train siffle dans la nuit » qui décrit le paysage de la province grecque tandis que le train transporte la dépouille de Z du Nord au Sud du pays, de Thessalonique à Athènes. Cette partie lyrique, le chant de l’âme qui survole cette descente vers la ville natale, est interprétée de façon chorale dans le spectacle. Les 9 acteurs, constitués en choeur, disent ce beau texte ; tous ensembles, ils font entendre cette voix solitaire.


Le spectacle se déploie en alternant le récit et l’action. Il s’enrichit des parties lyriques et avance au fil d’une action qui subit des cut nets, comme si on tournait les pages d’un livre.
Ce double langage, actif et épique, et le maintien de la parole lyrique, la mise en avant même dans le spectacle de ce fonctionnement, permettent d’éclairer l’Histoire – le poids de l’événement historique – et la petite histoire – la dimension humaine du drame.


Le dispositif scénique est constitué d’une énorme table de 10 mètres de long qui traverse toute la scène. Selon les besoins de l’action, cette table – formidable outil de travail – devient bureau de l’écrivain, cabinet de travail du juge d’instruction ou du journaliste, suggère la taverne, la rue fatale, devient lit de la veuve, cellule des assassins au poste de police, estrade... Eclairée par les grandes barres de lumière froide de néons, elle est la table de dissection du crime sur laquelle va éclater la vérité.


Les acteurs sont autour de la table, ils bougent sur ou sous au fil d’une action menée au galop rythmiquement et émotionnellement. Chacun joue plusieurs rôles – les rôles des victimes et des bourreaux sont joués par les mêmes acteurs – et les changements de costumes se font à vue – des éléments très simples suffisent : changer une veste, une paire des lunettes – car l’enjeu n’est pas l’incarnation. Les acteurs montrent leurs personnages ; leur jeu est celui d’un théâtre épique car l’important était surtout de raconter l’histoire.
« Quand on ne joue pas le rôle, on joue la pièce » disait Antoine Vitez et il avait raison. Quand les acteurs ne sont pas occupés uniquement par leur propre partition, ils participent entièrement au spectacle, ils deviennent co-créateurs ; c’est un processus que je préfère dans mon travail de mise en scène.


Pour revenir à Z : on a sur scène un corps d’acteurs, un choeur d’acteurs, un moi collectif qui raconte cette oeuvre et qui utilise pour cela toutes les formes du théâtre : récit, incarnation, chant, mouvement ; on pourrait parler d’une approche musicale ou d’un spectacle-performance, où la parole guide et prédomine sur tous les autres éléments.

Effi Theodorou

octobre 2013

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.