: Présentation
« Tout va bien à la table familiale. Un père ingénieur, une mère qui fait régner l’harmonie, et des enfants, tout ce qu’il y a de plus normaux. Juste en pleine puberté. »
- OLGA – Tu peux pisser n’importe où, sur une de ces machines à coudre, dit-il, dans deux heures, ici, il ne restera plus rien de toute façon. Ca me fait pouffer de rire, une fois de plus, mais je m’accroupis, là où je suis, sur le tapis.
« Ce n’est pas parce que tout est visible qu’on doit tout regarder. Règle numéro 1. On
n’a pas à se sacrifier quand le voisin ne se sacrifie pas lui-même. Règle numéro 2.
Une vérité vaut l’autre. Règle numéro 3. Chacun peut faire ses propres règles, c’est ça
la démocratie. Tout est explicable, règle finale.
Quand l’auteur fait naître la terreur au sein d’une famille, il touche peut-être du doigt
l’un des derniers lieux où la guerre n’est pas encore considérée comme normale et
justifiable. L’ennemi est alors plus difficile à pointer du doigt et il peut arriver que le
doigt se retourne contre soi.
La violence se constate, aujourd’hui : on en témoigne, on l’analyse, on la relate ; on essaye d’y mettre le plus de réalisme possible. Et puis ? Rien. Ca suffit, apparemment. Au travers Kurt et Olga, dans Visage de feu, j’avais envie de prendre le contre-pied : amener le public à considérer le meurtre des parents comme un acte totalement compréhensible, sans pourtant,faire des parents des monstres. Donner à ces enfants une urgence et un besoin de sensations et d’actions qui légitiment tout. C’est dans cette optique que je travaille cette fable banale de la vie quotidienne. En refusant les excuses et les justifications. Il me semble que l’heure au théâtre n’est plus à la dénonciation directe, qui arrange la conscience de chacun. J’ai envie de proposer de l’amoral tout à fait assumé en espérant qu’alors, peut-être, on puisse reposer des questions de société au travers chacun et non de les camoufler sous l’indignation ou le discours de masse. »
Sofia Betz
Note d’intention
La première lecture de Visage de feu était perturbante : il s’agissait globalement d’une histoire tragique finissant en double meurtre, suicide et fuite. Et cependant, rien de tragique n’amène à ça, la réaction de chaque personnage me paraissait justifiée et totalement normale. Des gens que je comprenais terriblement bien, avec un goût de vécu, derrière tout ça : mon père et ses « hm », ma mère et ses inquiétudes, mon frère radical ; les dîners qui ratent, les clans qui se font et se défont, les petits événements que l’on vit de façon tragique et injuste.
Se posaient les questions de la subjectivité et des faits ; de la responsabilité, de la
culpabilité ; de l’incapacité à communiquer. En découlaient celles d’une société de
vitesse et de compétition, d’un manque de repères communs, d’une incapacité à
transmettre des valeurs entre deux générations. Et chapeautant le tout, l’être humain
cherchant à trouver une place au sein d’un groupe.
Pièce séduisante, donc, traitant d’une violence extrême qui découle de la banalité
quotidienne que je connaissais sur le bout des doigts. Aucun contexte extrême de
guerre, de pauvreté, aucun trouble apparent chez l’un de ces personnages, aucune
excuse donc, mais des faits anodins qui s’enchaînent et les entraînent dans un non retour.
« Pourquoi et comment » cette violence, ce besoin d’être regardé, cette compétition
permanente, et cette hantise de l’humiliation ?
En est né chez moi un plaisir cynique de trifouiller dans la banalité plate et dorée et
d’imaginer comment le moindre mouvement, la moindre réaction peut être perçue
par l’autre comme un affront extrême. Comment l’égoïsme s’installe perfidement
sans jamais se laisser clairement voir ou vouloir… Parce que Visage de feu, c’était ça :
des gens qui s’aiment mais étouffent, des gens qui veulent s’entraider mais
s’enfoncent, des gens qui veulent s’épanouir mais foncent droit dans le mur.
Les personnages débordaient d’humanité, et de bonne volonté, mais la difficulté
quotidienne les entraînait dans un cercle vicieux dont ils n’avaient pas conscience.
Note de mise en scène
Avant tout, de la légèreté ! Je ne veux pas monter une tragédie, mais au contraire,
étaler une famille qui va bien, fière de son lustre et de ses repas familiaux, du partage
et des discussions ouvertes. Manque de chance, ça dérape petit à petit, et la famille
perd la face.
Concrètement, il m’importe de travailler sur les actes manqués, les humiliations non
voulues et surtout l’absence de conscience des personnages sur ce qu’engendrent
leurs actes, leurs mots. Personne ne veut mal faire ici. Chacun veut juste participer à
sa propre vie comme il l’entend.
Je cherche à mettre les personnages en tension constante mais impalpable : un
regard omni présent sur eux. D’une part, les cinq personnages sont quasiment
toujours en scène, observateurs et observés. D’autre part, ils ont à faire avec le regard
du public, témoin dérangeant, allié potentiel et juge impartial. Les relations se
tendent, les actions anodines se transforment en dilemmes et l’étouffement grandit.
Cette pression extérieure rend la moindre humiliation insupportable et le moindre
dérapage a des conséquences catastrophiques.
L’humour qui se dégage de ces cinq personnages débordés par des repas de famille,
des doutes sexuels et quelques bières en trop, est cynique et grinçant, car le
spectateur ne peut que sourire perfidement devant le manque de recul et la tragédie
ridicule du quotidien familial.
Pourquoi, alors, l’accumulation de détails si minimes suffit à légitimer une violence
aussi extrême ?
La mise en scène suit donc tous les petits détails et les petits événements quotidiens,
au travers des actions très simples de chacun des personnages, sans que la
catastrophe puisse se pressentir sur le plateau. Seul le spectateur peut entrevoir la fin
qui s’annonce, tandis que la mère continue son ménage, que le père se passionne
toujours pour les faits divers dans le journal, et que les gamins traînent à table,
comme tout bon adolescent en puberté.
Résumé de la pièce
Visage de feu, c’est l’histoire d’une famille bourgeoise actuelle : un père ingénieur,
une mère au foyer et deux enfants, Kurt et Olga. Une vie familiale apparemment
paisible, malgré quelques problèmes de couples et d’expérimentations « normales »
élaborées pour des enfants en pleine puberté. Jusqu’au jour où un élément extérieur
vient infiltrer ce noyau fermé : Paul, le premier petit ami d’Olga fait son apparition et
déclenche, malgré lui, une avalanche de jalousies, de remises en questions, de jeux de
pouvoir au sein du groupe. Déstabilisés, les membres de la famille réagissent dans un
instinct de survie. La maison familiale devient alors champ de bataille où les
individus se confrontent et se provoquent, où le cadre et les repères familiaux
deviennent armes de destruction, sans autre légitimité à leurs actes que celle de leur
place à prendre et à garder.
Parce qu’il n’y a rien à perdre et parce qu’il n’y a pas de valeur reconnue comme
authentique, ces petits jeux guerriers prennent de plus en plus d’ampleur, menant
finalement à une destruction massive : meurtre, fuite, suicide.
Ecriture
Un bombardement ininterrompu de séquences brèves met les personnages en
situations difficiles face à des événements qu’ils ne contrôlent pas et sur lesquels ils
n’ont aucun recul. Cette cadence soutenue et la brièveté des répliques engendrent le
manque d’écoute mutuelle et la subjectivité irrationnelle de chacun.
L’auteur met ses personnages dans des situations burlesques, qui laissent apparaître
la grande tragédie de l’existence. Il dépeint cinq individus inaptes à être ensemble,
qui cherchent à survivre dans leur quotidien.
Contexte
Visage de feu s’encre dans un contexte social perturbé – celui de la chute du mur de Berlin- qui voit l’arrivée d’un monde nouveau perturbant les piliers anciens. Le monopole de la consommation et la tutelle des médias ont évincé l’individu et son impact potentiel sur les événements. L’auteur Marius von Mayenburg n’a pas même trente ans lorsqu’il écrit Visage de feu. Il laisse transparaître, dans son écriture, une jeunesse en plein doute, qui, pour trouver sa place dans un monde nouveau et mal défini, n’a d’autres repères que ses sensations.
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