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Une saison en enfer

d'après Traces de Mickaël Le Mer
mise en scène Jean-Paul Rouvrais

: Note d'intention

A la lecture d’« Une saison en enfer » un mot nous traverse souvent l’esprit, mot qui illustre bien ce texte : danse. Nous rappelant à notre organicité, notre genèse, Rimbaud nous engage à nous couper d’un rapport trop sentencieux à la langue et au sens, à nous extraire d’une vision trop explicite pour descendre et plonger dans les affres du corps afin de nous dessaisir, nous ressaisir dans la matière qui nous produit. C’est depuis ce lieu que nous réussirons à nous dé- subjectiver afin de sentir en nous un nombre infini, indéfini de Je, comme une naissance illimitée de soi. Ce que nous voulons rejoindre c’est cette aptitude naturelle du sujet Je à toujours être un autre, à être sa propre matière et à se produire toujours depuis celle-ci. Parce que Rimbaud fait le choix non pas d’écrire, mais de se laisser écrire, il devient voleur de feu, voyant, il atteint : la raison merveilleuse.


La défiguration nous semble être un moyen pour cheminer vers ce lieu. En défigurant le corps et la langue nous cherchons à retrouver quelque chose de ce mouvement. La peinture de Francis Bacon nous a semblé être un des moyens pour y parvenir. Pour déformer, défigurer, Bacon esquisse toujours une figuration. Sur cette figuration il projette une poignée de peinture, et, c’est depuis l’impact accidentel de ce jet sur la toile qu’il amorce sa défiguration. Mais comment traduire ces jets de peinture sur le corps de l’acteur, corps qui devient le lieu de la figuration et du voir ? Nous avons travaillé sur le symptôme ; le symptôme semblable au jet de peinture chez Bacon. Le tic, le bégaiement, le trou de mémoire, le sommeil, le vomissement nous ont offert des possibilités d’exploration dans cette aventure. Depuis ce corps défiguré par ces symptômes et ces accidents, l’acteur laisse remonter à son esprit et dans sa bouche la prose du poète. Jamais nous n’avons anticipé sur le choix d’un passage du texte pour l’une des défigurations. Les mots ont toujours jaillis seuls, comme impulsés par la défiguration et progressant au rythme de celle-ci.



Il nous intéressait de voir comment la langue, l’énonciation réagiraient une fois prise dans l’étau de la défiguration. Est-ce que l’énonciation serait lente ou rapide ? Saccadée, morcelée, étirée ? Quels espaces ferait elle naître ? Comment se placerait la voix ? Quel grain aurait celle-ci ?
Prise dans l’étau de la défiguration, la langue opère des sauts, les mots se déplient et laissent entrevoir des sonorités cachées, des sens voilés. Avec ces chaos opérés dans la langue nous retrouvons le mouvement même de la musique Rimbaldienne, mouvement qui lui permettait de « tendre des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile ».


Ce spectacle est le spectacle d’une expérience, il fait écho à ce que Evelyne Grossman appelle dans son livre La Défiguration « une entreprise de corruption ». Nous défigurons la langue pour y découvrir ses béances et descendre dans ses profondeurs avec l’espoir de faire émerger ce que Artaud appelait « la parole sous les mots ». C’est ce lieu que nous avons tenté d’explorer. Nous déformons pour faire naître un « corps sans organes », un corps d’acteur comme Artaud le rêvait, un corps devenu bloc de désirs et capable d’entraîner l’acteur et la langue dans un espace inconnu par un dérèglement de tout les sens.

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