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Une Famille aimante mérite de faire un vrai repas

+ d'infos sur le texte de Julie Aminthe
mise en scène Thibault Rossigneux

: Mes intentions

Quel bonheur de se plonger dans l’humour cruel de Julie Aminthe !


Le titre m’a tout de suite intrigué. Dernier d’une “tribu” de 8 enfants, j’ai immédiatement été interpellé par :
-­ la référence à la “famille aimante”, pilier fondateur, mais aussi rouleau compresseur
-­ la notion de mérite, mère des névroses de notre délicieuse société judéo-­‐chrétienne
-­ et surtout l’invitation au “vrai repas”, plongée dans une enfance blanquette de veau d’une famille traditionnelle de la banlieue ouest mais auto-­proclamée moderne.


Dès les premières pages j’ai ri, comme ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps et en même temps une gêne m’a sournoisement envahie. Pas seulement liée aux regards surpris de mes voisins de terrasse pris en otage par mes réactions étouffées, mais surtout par le drame quotidien et inéluctable qui se jouait devant mes yeux.


Cette comédie redoutable me permet de porter au plateau, avec jubilation, les sujets les plus graves qui m’accompagnent de façon plus ou moins assumée dans mes différentes propositions.


Cette pièce miroir questionne la fin des illusions, la perte de repères, l’énigmatique référence au genre, l’échec de la transmission. Ce huis clos familial est criant d’une vérité impudique aux retentissements universels.


Les quatre personnages cohabitent dans ce format explosif que peut être la famille. Leurs obsessions névrotiques sont drôles et touchantes car vraisemblables.


J’aime aussi l’idée de poursuivre mon questionnement, entamé avec ma précédente mise en scène Corps Etrangers de Stéphanie Marchais, sur l’étouffante référence à la norme. Je trouve très juste l’interrogation de chacun vis à vis de son positionnement dans le clan familial, comme si les rôles étaient prédéfinis et qu’il leur fallait s’ajuster à ces costumes étriqués. Le père se doit d’être protecteur et il fuit cette responsabilité accablante dans le mensonge et dans une quête hygiéniste. La mère est là pour AIMER, elle est d’une maladresse touchante et destructrice qui montre qu’elle n’est pas non plus à sa place. Les parents, tout en les surexposant à leur mal-­être, maintiennent leurs deux ados dans un statut post-­enfantin alors qu’ils sont armés d’une hyper-­conscience explosive.


C’est dans des situations ultra-­quotidiennes, définies dans des scènes à deux habilement rythmées que la comédie vire progressivement et imperceptiblement au drame. Les masques tombent. C’est ce virage qu’accompagne le jeu des acteurs, scénographie et costumes, lumière et sons.


Tout démarre avec les codes d’un théâtre bourgeois, quasi boulevardier pour se muer en drame social fantasmagorique.


Ce texte est une machine à jouer pour les quatre acteurs dont les partitions sont très équilibrées et merveilleusement évolutives. Pour faire partager le dérapage de cette famille ordinaire, il faut tisser immédiatement les rapports entre chaque personnage. Des petits gestes simples et quotidiens doivent trahir la parole immédiate et installer le trouble. L’humour nait de l’absolue justesse des relations entre mari et femme, père et fille, père et fils, mère et fils, mère et fille, frère et soeur, sans oublier que ces duos s’inscrivent dans une histoire collective soucieuse des normes sociétales. La folie vient du progressif décalage qui bouleverse des situations apparemment normales.


Une tournette utlra-­réaliste de petite taille (3m de diamètre environ), à jardin, définit quatre petits univers propres à chaque membre de la famille (les WC que brique le père, le canapé où se love la mère, la chambre/dressing où se réfugie la fille, le cagibi ordi où s’enferme le fils). Elle scande les séquences et codifie l’espace. Tout le reste du plateau est une sorte de coulisses à vue où les interprètes sont les témoins impuissants du drame qui les submerge. Avec ses vêtements, la fille crée, à la manière des prisonniers en évasion, des cordes lui permettant d’échapper au cocon familial. Nous exploitons ainsi la verticalité en utilisant les talents de cordiste de Pauline Dau qui s’installe un nid protecteur en canopée.


La normalité des costumes nous rassure et nous donne le code de cette famille aimante où chacun est à sa place. Mais progressivement des détails de l’accoutrement de chacun traduisent le dérapage : impudeur de plus en plus marquée de la mère, juxtaposition d’accessoires « ménagers » greffés sur la tenue de bureau du père, virage para-militaire du fils et l’accumulation d’habits par la fille qui prépare sa fuite.


La lumière définit dans la première partie des espaces bien définis et progressivement elle se répand de manière virale à l’ensemble du plateau ne permettant à aucun des personnages d’échapper au piège qui se tisse. Latéraux et noirs favorisent un jeu d’apparitions et disparitions qui scandent cette intrigue en short cuts. Des tableaux muets, chorégraphiés et pratiquement subliminaux s’immiscent progressivement dans notre récit et créent le trouble.


De même le travail sur le son nous fait basculer d’un univers quotidien, léger où la radio diffuse les infos et des rengaines rassurantes couvertes par le confortable bruit de l’électroménager, à un déraillement sournois de ce foyer en implosion. Ca grince, les sons se déforment, sont imperceptibles ou trop forts…


La partition propose une fin ouverte. Je propose en fait quatre fins, une par personnage. Une façon de donner à voir la projection fantasmée de chacun. Ces séquences non écrites sont des tableaux violents qui s’enchainent rapidement jusqu’au noir.

Thibault Rossigneux

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