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Un dieu un animal

+ d'infos sur l'adaptation de Julien Fišera ,
mise en scène Julien Fišera

: Ce dont les hommes ont besoin pour vivre – Note d’intention

// L’histoire d’un retour


L’intrigue du roman est simple : un jeune homme rentre chez lui en Corse après qu’ait tourné court une mission militaire au Moyen-Orient. Il se met en quête de retrouver son amour de jeunesse. Mais Magali, qui travaille comme consultante pour une grande entreprise et pour qui la violence des rapports humains est aussi le lot quotidien, ne peut rien face à ce que le jeune homme est devenu.


Le roman tresse une double narration : celle du jeune homme et celle de Magali. Ensemble, ces deux fils dessinent le portrait d’une jeunesse française d’aujourd’hui. C’est l’histoire d’un exil, celui de Magali, et d’une fascination, celle du protagoniste. Mais le roman est aussi l’histoire d’un retour chez soi, thème théâtral s’il en est : le plateau devenant la scène originelle.


// Un théâtre d’actualité


La réalité que dépeint Jérôme Ferrari est celle de milliers de Français. En effet, et dans une certaine mesure grâce à des campagnes d’affichage assez efficaces, l’armée française a reçu en 2016 plus de 150 000 demandes d’engagement. Qui sont ces jeunes qui souhaitent s’engager dans cette guerre qui ne dit pas son nom ? Qu’est-ce qui les pousse à devenir « guerriers et martyres » et comment réintègrent-ils ensuite la société ?


Ce fait de société est peu mis en avant : il est difficile de trouver les chiffres exacts du nombre de militaires qui se battent aujourd’hui pour la France et cette tâche est rendue encore plus difficile dans le cas de Sociétés Militaires Privées, ces entreprises auxquelles font appel les Etats, dont la France. Les méthodes de ces armées privées dirigées par des mercenaires des temps modernes, leurs champs d’application, les contrats qu’ils signent avec les belligérants restent obscurs. Dans le roman après une première mission dans l’armée française, le protagoniste s’engage auprès d’une organisation militaire privée.


Ce qui me marque c’est l’engagement à corps perdu et que décrit l’auteur, de ces jeunes hommes et jeunes femmes qui décident d’aller comme ils le disent se rendre « utiles » et se battre pour notre nation. Et en miroir il est frappant de constater que cet engagement à corps perdu n’est pas sans rappeler celui des jeunes terroristes.


// Mettre en scène une langue


J’ai été immédiatement saisi par l’écriture de langue de Jérôme Ferrari. L’auteur, lauréat du Prix Goncourt en 2012, manie une langue lyrique et à la fois toujours très concrète. Le contexte et les situations sont proches de nous et je tiens à insister sur cette immédiateté.


Un dieu un animal s’inscrit dans la continuité des précédents spectacles de la compagnie. Jérôme Ferrari travaille une langue ample et puissante qui se déploie, comme celle d’Albert Ostermaier par exemple, le premier spectacle créé par la compagnie en 2004. Mais aussi dans la forme : le texte est en adresse directe comme 20 novembre de Lars Norén ou Eau sauvage de Valérie Mréjen que nous avons tourné jusqu’en septembre dernier. D’ailleurs une des particularités de la narration réside dans le fait qu’elle soit portée par une adresse à la deuxième personne du singulier : « tu ». Le spectateur est immédiatement embarqué.


// La direction d’acteurs


Ayant eu la possibilité de pouvoir répéter au Théâtre Paris-Villette bien en amont de la création du spectacle dans le cadre de la résidence de la compagnie en 2017, j’ai pu expérimenter le rapport à la langue et les chemins à prendre dans la direction d’acteurs. « Un monde commun est en train de mourir », est-il rappelé dans le texte et les deux personnages se débattent pour défendre une certaine unité. C’est une vie de l’après –après une espèce de temps idyllique, Age d’Or ou Arcadie, auxquels auraient été soustraits les personnages– : « Tout est là, et tout est perdu », « un monde qui meurt dans les flammes », mais ça n’empêche pas que les deux personnages y croient encore. Et ce qui justement les fait tenir c’est la nostalgie illusoire de leur amour passé et la possibilité d’une vie à deux. Il faut donc et de l’enthousiasme et une grande complicité entre les deux interprètes. Et de l’humour bien sûr !


S’il y a de la désillusion dans le monde du roman (« toute vie humaine est insignifiante », « torturé par l’espoir sans que rien ne change »), il ne faut pas partir battu. Il faut de la verve, toujours. Il y a toujours du possible malgré ce « poison de l’espoir » qui sourd des pages d’Un dieu un animal.


Dans la parole aussi il s’agit d’être très énergique : de prendre appui sur les brèves –mais ne pas céder à la panique– et privilégier un bon débit –mais ne pas nous perdre par la vitesse. Ce qui peut sembler important pour le protagoniste ne s’exprime pas forcément avec lenteur ou de manière trop appuyée.


De même, la langue de Jérôme Ferrari ne supporte pas une approche explicative. Il n’y a rien de psychologique dans les agissements des personnages qui semblent mus par la seule nécessité. Les choses sont telles que l’auteur les décrit. Le monde est mouvant pour les personnages et il faut tâcher à ce que les développements de l’intrigue restent toujours surprenants pour les spectateurs.


Ce texte nécessité une certaine proximité avec le public, il ne faut jamais lâcher les spectateurs du regard. Mais se garder d’être trop dans la séduction : il faut que le texte avance et que le spectateur ne perde jamais de vue le fil du récit.


Dans ce spectacle la narration a une place prépondérante. Pour Ambre Pietri et Martin Nikonoff, il s’agit de raconter à deux voix et du coup être toujours dans la co-construction. Dans le passage d’une voix à l’autre, les interprètes doivent avoir conscience de reprendre l’intrigue à la volée comme en un passage de relais ou bien à l’inverse, quand ça frotte. Ou encore quand ça se tuile.


Dans les corps, il faut être posé mais jamais statique. Il faut de la vie. Les regards entre les comédiens sont mesurés et signifiants. Les positions de corps, les moments où les corps se touchent sont rares et intenses.


Par moments ce qui est le plus important ce n’est pas tant l’anecdote (aussi terrible soit-elle) mais plutôt ce que le personnage a appris en traversant cette épreuve. Jérôme Ferrari nous place au-delà du jugement. Chaque élément doit être compris de tous. Le texte doit nous parvenir de manière totalement limpide. C’est comme s’il y avait un secret toujours à déceler. Il faut impliquer le spectateur à cet endroit-là autrement dit qu’il participe à l’enquête.


Jérôme Ferrari joue des différentes strates temporelles, il s’agit donc pour nous de s’interroger sur la manière de faire remonter le passé. Comment marquer le passage d’un moment temporel à un autre ? En effet une phrase peut commencer à tel endroit et à telle date et à la fin de la proposition le lecteur/spectateur prend conscience qu’on a changé de continent et qu’on se situe deux ans plus tard.


Le spectacle est construit en trois parties :


  • Une prise de parole directe au départ : expliciter la situation du texte, les enjeux et les thématiques abordées, parler du titre et surtout commencer par le plus simple et le plus apparent c’est-à-dire la présence des corps des comédiens. Dans cette fausse improvisation (la détente des interprètes est essentielle), ils pourront se confier sur différents aspects : comment ils ont découvert le texte, ce que ce texte leur fait ou encore en quoi il fait écho à leur situation personnelle (Ambre est d’origine corse, le frère de Martin a fait l’armée par exemple.) Cette exposition ressemble un peu à un « bord de scène » après un spectacle mais cette fois-ci au tout départ
  • La partie centrale du spectacle c’est-à-dire le texte de Jérôme Ferrari dans une forme de « théâtre-récit » : un partage des voix entre les deux comédiens. A noter que ce n’est pas forcément Martin qui prend en charge les parties qui concernent le protagoniste et Ambre qui s’empare de ce qui concerne le personnage de Magali. C’est une question de rythme général.
  • Une scène dialoguée. Une séquence évoquée par l’auteur et qui se déroule une nuit sous la pluie devant une boite de nuit.

Cette construction en séquences me permet d’aborder trois états de l’acteur, trois moments sur le grand spectre de l’incarnation théâtrale. Du très proche des comédiens (la première partie) à du très incarné : la scène devant la boite de nuit où Ambre et Martin incarnent de manière naturaliste les personnages.


En somme, le spectacle Un dieu un animal fait le récit en acte du passage du comédien au personnage.


// Un spectacle sur la jeunesse pour la jeunesse à jouer partout


Un dieu un animal est porté par deux jeunes comédiens de mois de trente ans : Ambre et Martin. J’ai l’intime conviction que ce spectacle doit être présenté à un public jeune, lycéen ou tout juste engagé dans le monde du travail. Il me paraît essentiel que cet effet d’identification marche à plein.


Nous cherchons avec ce spectacle à nous en tenir à une proposition légère, dans la lignée de T5 de Simon Stephens ou encore de Face au mur de Martin Crimp que nous avons présenté dans des salles de spectacle mais aussi en extérieur en plein air dans le cadre de festivals notamment.


Du point de vue de l’espace, nous n’apportons pas d’élément construit, mais seulement un vidéoprojecteur et surtout un livre. Le spectacle commence de la sorte : les comédiens se présentent à nous avec un livre à la main. Et le livre -qui est livre préparé comme on parle de piano préparé - devient le décor. Il est posé au mur, il s’ouvre, se déploie au cours du spectacle, devient espace de projection.


S’appuyant sur les contraintes qu’exige une forme légère « à jouer partout », le scénographe François Gauthier-Lafaye propose une carte de grande dimension (6m X 3m environ) mais qui tient entre la couverture d’un livre. Il y a quelque chose de saisissant, de magique, à déplier un livre pour en révéler littéralement les images qui y sont contenues.


Nous travaillons en à-plat, dans un rapport frontal, en transformant le mur de la salle qui nous accueille (théâtre, salle de classe, médiathèque…) en surface de projection. Jérémie Scheidler qui signe la création vidéo de tous les spectacles de la compagnie depuis de nombreuses années a imaginé un dispositif simple. Grâce à un dispositif de mapping et un ingénieux travail sur les surfaces de projection (poster, carte postale à coller au mur, projection sur les corps…) l’image qui semble sortir du livre, est au cœur de la proposition.


Comme dans la dernière création de la compagnie, Opération Blackbird, nous glanerons des images dans différents films de référence : Flandres ou Hadewijch de Bruno Dumont, Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola – qui a donné son titre au roman – mais aussi Je veux voir de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ou Le Silence d’Orso Miret. C’est le montage qui fait image.


Je vise à créer un spectacle fort, sans pathos et encore moins de cynisme. Le monde qui nous entoure est souvent brutal mais les femmes et les hommes qui le peuplent sont pleins d’espoir. Et cela les rend beaux.

Julien Fišera

janvier 2018

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