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Ulysse(s)

d'après Ulysses de James Joyce
mise en scène Isabelle Luccioni

: Présentation

Isabelle Luccioni, metteur en scène et comédienne formée auprès de Michel Mathieu mais aussi de Peter Brook, Claude Régy et Ariane Mnouchkine, s'attaque cette foi au monologue de Molly Bloom d’Ulysse de Joyce.


Ce livre a été écrit sur huit années par épisodes, dans des revues. Le roman se déroule sur une seule journée à Dublin (nous suivons Léopold Bloom de 8h du matin à 3h du matin). Il se compose de 18 épisodes. Chaque épisode est relié à un organe du corps, une couleur et un personnage de L'Odyssée d'Homère, livre fondateur pour Joyce depuis sa jeunesse. Le XVIIIe épisode, le monologue de Molly Bloom fait dans sa totalité une durée de 2h 30 à la lecture. Après avoir fait une relecture minutieuse, une analyse dramaturgique, j'ai choisi de garder un tiers du texte.
Ce qui a guidé mes pas, c'est l'écoute du tempo intérieur du texte, en le disant à haute voix, ressentir la sensation physique que cela produit, au-delà du sens. Rentrer dans la respiration du texte, comme on remettrait ses pas sur les traces d'un autre, sur le sable...


« Mes seins mon odeur oui et son cœur battait comme un fou et oui j'ai dit oui je veux Oui. » Molly dans Ulysse


Lire "Ulysse" de James Joyce, et particulièrement le monologue final de Molly, est une aventure de lecteur vertigineuse. Le dire, est une sensation physique jouissive, organique "A s'en faire péter la machoire !" (extrait du texte) dans la respiration qu'elle implique, une expérience du souffle, qui traverse cette écriture, pulsation interne du "corps" du texte, du corps de Molly B.


On en ressort dévasté, jeté sur le rivage, après avoir été emporté par les flots de cette parole ininterrompue. Ivre de joie


« Je ne sais rien de la différence entre lire et écrire, entre lire et voir. Entendre. Je vois de moins en moins de différence. Je n'aperçois plus rien de différent (...) » M.Duras




Dublin, 16 juin 1904


Pour situer l'épisode précédent (XVII), Léopold Bloom, après un périple incroyable d'une journée dans Dublin, rentre éméché, en pleine nuit. Il est 3h du matin. Il se couche et s'endort tête bêche près de sa femme (Molly) dans le lit conjugal. L'épisode XVIII commence par le monologue de Molly.
En milieu de nuit dans son lit, cette femme déroule sa pensée, dans un flux incessant, comme le sang, comme l'eau qui compose notre corps. Sac et ressac de la pensée... les vagues de notre inconscient. Elle est dans un état de pré-sommeil, à la frontière, à la lisière du sommeil.


Fascinant, ce monologue torrentiel ouvre sur la nuit où se dilatent les forces telluriques de la parole, du corps de Molly: c'est dans la nuit souvent que l'on s'abandonne, c'est dans la nuit que les amants s'unissent, et que l'on murmure un secret et c'est dans la nuit toujours que se jouent les terreurs enfantines. Il ouvre sur cette nuit de l'inconscient.
En quarante pages, la parole telle un fleuve, traverse littéralement celui qui le lit et du même coup celui qui l'entend. Molly elle-même est traversée, "trouée" de toute part. Elle dit dans le texte qu'elle est comme un trou. Molly se sert de son corps pour attirer les hommes, elle agit sans culpabilité de manière très instinctive. Son comportement est veule, animal, sans aucune moralité. C'est une femme mariée qui se donne au premier venu. Pour Joyce, Molly représente le sexe. Son rapport au corps est abordé sans tabou, sans barrière morale, de manière très intime, très osé pour l'époque. Elle évoque le sang, les menstrues, le bruit que fait son corps. Molly est libre, sauvage et rebelle, et remet en cause le couple et le mariage.
A sa sortie en 1922, le livre a fait scandale et a été interdit pour obscénités. C'est Hemingway qui le réhabilita quelques années plus tard.


« C'est comme ça qu'elles ont commencé à parler, seules, aux renards et aux écureuils, aux oiseaux, aux arbres (…) Voilà et on les a brûlées. Pour arrêter, endiguer la folie, endiguer la parole féminine... » X.Gauthier / M.Duras


Près d'un siècle après je me repose cette question tout naturellement... Où est l'obscène? Non pas dans ce texte mais dans le monde tel qu'il est. Notre monde l'est, totalement. La télévision, la mort filmée en direct, les confessions intimes, le terrorisme de l'argent, la surconsommation, c'est l'endroit de la plus grande violence, de l'obscénité.
Quel est notre rapport au corps, et à la parole ?
Me revient en tête, l'image de Winnie de Oh les beaux jours de S. Beckett qui chante alors que son corps est absorbé par la terre, retourne à la terre.


Molly, elle, chante, en s'enfonçant dans la nuit, dans le naufrage de son existence, fragile, légère, joyeuse. Elle a fait naufrage sur les rivages du sommeil, sur la plage, face à l'océan. Face à Gibraltar.

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