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Ubu Enchaîné

mise en scène Dan Jemmett

: À propos d'Ubu enchainé

par Dan Jemmett et Mériam Korichi

Puisque nous sommes dans le pays où la liberté est égale à la fraternité, laquelle nʼest comparable quʼà lʼégalité de la légalité, et que je ne suis pas capable de faire comme tout le monde et que cela mʼest égal dʼêtre égal à tout le monde puisque cʼest encore moi qui finirai par tuer tout le monde, je vais me mettre esclave, Mère Ubu !
Ubu enchaîné, I, 1

Dans le cycle des Ubu, Jarry se fait maître de langage, non pas pour revendiquer une place de docte, de savant, ou de spécialiste, mais parce quʼil sʼen empare comme de son droit, cʼest sa langue, elle passe par lui, et il lʼarrête pour la recracher à partir du fond ogral découvert dans lʼenfance et sauvegardé par lui, au contraire de beaucoup dʼautres qui grandissent et qui lʼenfouissent bien profond. Liberté de ton de Jarry, liberté radicale de sa parole qui fournit une incitation urgente et un précieux matériau pour créer sur la scène de théâtre, comme si on était au guignol ou au théâtre de marionnettes. Jarry dit bien de son cycle Ubu : « Jʼai voulu faire un guignol ». Le castelet sur la scène exhibera lʼogre humain que Jarry a fait remonter à la surface, lâchera le monstre qui institue un monde ubuesque, cʼest-à-dire un monde organisé de manière aberrante pour tous ceux qui veulent ignorer la trappe où stagnent lʼignoble et les appétits inférieurs effrénés, ou qui la croient bien scellée. « Semblable à un oeuf, une citrouille ou un fulgurant météore, je roule sur cette terre où je ferai ce quʼil me plaira », affirme Ubu. Là sʼannonce un univers où les choses les plus familières seront détournées de leurs emplois habituels, endossant des fonctions symboliques nouvelles, des plus significatives mais des plus aberrantes, où le langage, puisant à toutes les sources jarryques, va se déchainer, logomachique, polysémique, fulgurant, incohérent - car quelle cohérence y a-t-il à défendre si celle-ci se construit sur lʼillusion qui masque lʼabsurde et la cruauté du monde ?
Ubu nʼoffre pas lʼimage commode de la bêtise ordinaire. Résolument monstrueux et grotesque, il sʼépanouit dans lʼoutrance, dans la boursouflure physique et intellectuelle : cʼest rond et énorme, lʼétendard dʼUbu, cʼest son ventre : « bouzine », « boudouille », « gidouille », « giborne », quelques mots inventés, jouissant dʼune malignité dʼenfant, pour le dire. Et un grand concours dʼénergie et dʼorganisations scéniques composites, hybrides, adaptatives, pour le faire éprouver au public.
Et retentit le juron favori de Père Ubu : Cornegidouille ! Ce théâtre est à la fois cornu et ventru, rond et coupant, guignolesque et inquiétant, où les acteurs sʼinspirent de, et se confrontent à, un idéal de marionnettes. Un théâtre qui fait en sorte de montrer que la proposition dʼoutrance, de désorganisation et dʼéquivalence des contraires est une opération logique poussée jusquʼau bout. Jarry sait ce quʼil veut proposer avec Ubu enchaîné, la suite et le pendant dʼUbu roi : « Nous nʼaurons point tout démoli si nous ne démolissons même les ruines ! Or je ne nʼy vois dʼautre moyen que dʼen équilibrer de beaux édifices bien ordonnés. »
Ubu roi se passait en Pologne, cʼest-à-dire, pour Jarry : « bien loin un quelque part interrogatif ». Si le premier Ubu se situe loin, Ubu enchaîné se rapproche. Le premier Ubu est centrifuge, expansif, extériorisé, cʼest lʼappétit offensif, à lʼassaut, à la conquête du monde qui mène la danse. Le second est centripète, il propose une concentration de matière jusquʼà menacer dʼexplosion nucléaire.

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