Une femme, essayant des vêtements, ne sait pas ce qui lui va, croit se trouver quand, à l'évidence, elle se perd, et vice-versa.

Un homme court dans un sous-bois, à la recherche de sa limite, persuadé que l'épuisement, l'effondrement, garantiront que, pour une fois, il n'aura pas renoncé, et qu'il aura, au moins, fait tout son possible. Mais il s'écroule toujours avant ladite limite.

Ces deux personnes consultent un psychothérapeute. Celui-ci propose de les dédoubler : la copie endossera la responsabilité d'accomplir tout le potentiel inexploité de l'original. Ainsi le patient ne vivra plus dans la tension permanente d'avoir à "se dépasser", ni de savoir, "au fonds", qui il est.

Ce protocole engendrera un monstre.

De pauvres gens se mêlent d'être autre qu'ils ne sont, veulent se distinguer, s'oublier ou se trouver, et finissent confondus.

La pièce est étrange : un processus rigoureux et fatal, une machine constructiviste qui conduit, à partir d'une règle de dédoublement, à la destruction méthodique d'elle-même, avalant tout, personnages, illusions, histoire, forme, contenu.

On retourne la fable dans tous les sens : ce n'est pas une satire de la psychanalyse. Ce n'est pas une spéculation dialoguée sur le dépassement et l'accomplissement de soi, ni un apologue sur les pouvoirs du langage, ni même une comédie oulipienne à forme contrainte, encore moins une virtuose et fort spirituelle farce métaphysique, comme il en fleurit tant sur les boulevards. Rien de tout cela.

Ce pourrait être un conte purement fantastique, dans le genre d'Hoffmann. Une belle et énigmatique histoire dont le sens ne s'épuise que dans sa narration même, comme on prouve le mouvement en marchant. Tout l'art sera de bien la raconter. On trouvera sans doute alors très émouvante et très drôle, la comédie de ces pauvres gens si en peine d'eux-mêmes.

Denis Podalydès