• Horatio, si un jour j’ai eu une place dans ton coeur, prive-toi un moment des joies du ciel, et dans cet âpre monde, retiens ton souffle dans la peine, pour dire mon histoire
• Hamlet (Acte V Scène 2)

La tragique histoire d’Hamlet, prince du Danemark, avant de se révéler sous la plume de Shakespeare, est d’abord une obscure légende danoise, venue du fond des âges et transcrite par Saxo Grammaticus vers 1200. Le parti pris de la mise en scène s’est alors très vite imposé : il s’agissait de redonner à ce texte sa valeur atemporelle, ancré dans nos mémoires et pourtant toujours vif et actuel.

• Oh si cette trop solide chair pouvait fondre, se liquéfier, se résoudre en rosée !
• Hamlet (Acte I Scène 2)

La pièce fascine car elle convoque tous les motifs majeurs de la tragédie humaine, les luttes de pouvoir, l’amour, la haine, la vengeance, l’adultère, la folie, cristallisés par une sublime oscillation entre enfance et maturité, absolu et compromission. L’hésitation d’Hamlet, celle d’un homme confronté à l’apprentissage de la maîtrise des pulsions, porte ainsi l’essence même de nos questionnements, de nos douleurs, de nos souffrances. Hamlet se bat, se débat : doit-il suivre l’ordre prononcé par le spectre de son père et venger son meurtre ? Est-il lâche ? Cette vie ternie vaut-elle d’être vécue, de persister, d’être ou de ne pas être, alors qu’il serait si facile d’en finir ?

Dans l’univers que nous avons créé, les gardes et Horatio deviennent les témoins annonçant l’éclatement de la frontière entre le réel et le surnaturel, ils viennent ouvrir la brèche qui mènera Hamlet sur la voie de la vérité : son oncle est-il l’assassin de son père ? Mais la vérité est une divinité redoutable et cruelle qui exige des sacrifices, et Hamlet paiera sa lucidité de l’amour d’Ophélie.

C’est également toutes les facettes de la folie qui viennent paradoxalement accompagner l’émergence de la vérité ‒ qu’elle soit simulée par Hamlet, subie par Ophélie ou l’aboutissement de la culpabilité chez Claudius et Gertrude, que nous avons souhaité mettre en relief. Ce thème permet en outre à Shakspeare de s’affranchir des codes qui régissent nos sociétés moralisatrices et sert une brutalité d’expression semant le trouble parmi les autres personnages, jusqu’à faire sombrer tout le royaume. Cette folie pourrait-elle cependant rester l’ultime échappatoire avant la mort ?

Hamlet restera à jamais cette figure en « manteau d’encre », cherchant désespérément la frontière entre le bien et le mal, pleurant un père, tourmenté peut-être par une affection trop œdipienne pour sa mère, brûlant tel Oreste d’un amour impossible pour Ophélie et condamné à une vengeance mortelle exigée par son père. Pour autant j’appellerais cette tragédie « la drôle de tragédie », dans tous les sens du terme, car Shakespeare, au cœur de ce drame, flirte en maintes occasions avec tous les genres comiques que nous nous sommes efforcés de rendre.

Notre ambition est également de rendre cette pièce complexe et tortueuse, intelligible au plus grand nombre, tout en gardant intacte la poésie du verbe Shakespearien. Nous avons ainsi coupé certains passages, travaillé sur la traduction et remanié la structure de la pièce pour privilégier le sens et la clarté de l’histoire. À partir de l’acte III, le spectacle procède par tableaux servis par le mime, le chant et les combats, notamment à l’occasion des scènes de la mise en abyme avec l’arrivée des comédiens à la cour, de l’attaque du bateau d’Hamlet par des pirates alors qu’il vogue vers l’Angleterre, de la mort d’Ophélie dans les bois (ces deux derniers épisodes ne sont habituellement présenté que sous forme de récit) et de sa mise en terre ou du tournoi final entre Hamlet et Laërte.

La pièce ainsi jouée et riche de cette diversité d’ambiance et de technique, est à la porté de tous et nous avons eu le plaisir, lors de nos avant-premières, de voir toutes les générations se captiver pour l’histoire d’Hamlet.

Danuta Zarazik