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Sur le vif

mise en scène Gilberte Tsaï

: L'auteur

Le théâtre de Gilberte Tsaï ne se constitue pas à partir du répertoire ni même à partir d’œuvres littéraires adaptées pour la scène. Même lorsqu’il a recours à l’écriture d’un seul auteur, c’est dans le cadre d’une démarche où cet auteur a participé à l’élaboration d’un projet répondant à une contrainte très précise, que celle-ci provienne d’un lieu ou d’un thème.


D’une façon générale, son mouvement consiste à construire des agrégats de récits autour d’un pôle. Ces «récits» peuvent être prélevés dans des matériaux textuels existants (pas nécessairement littéraires) ou commandés à des auteurs, mais c’est leur entrecroisement progressif qui finit par aboutir au spectacle proprement dit.


Dans Voyage en Chine intérieure, Noces de bambou et Song, le pôle de constitution du spectacle était la Chine, dans Tableaux impossibles c’était la peinture, dans La main verte les jardins, dans La nuit blanche le Paris du XVIIIe siècle, et ainsi de suite.


A chaque fois le spectacle est composé de textes d’origines très différentes, et pourtant il ne se présente pas comme un collage, il y a, d’un texte à l’autre, via gestes et silences, chants, musiques et déplacements, une continuité dramatique.


Le spectacle Sur le Vif propose pour pôle les animaux et la relation des hommes aux animaux. Le corpus est évidemment immense : descriptions, fables, textes savants, mythes, images, etc… Il ne saurait être question de l’épuiser ou de vouloir être exhaustif. Le but est de montrer à travers ces textes la continuité d’un mystère auquel les hommes ont répondu de façon souvent maladroite et embarrassée : il y a sur la terre d’autres vivants, d’autres regards que celui de l’homme.


Et le but, plus que celui de feuilleter l’histoire d’un rapport, ce serait d’aller de l’autre côté et d’imaginer ce qu’il en est du côté des bêtes : de ces bêtes qu’un philosophe jugea «pauvres en monde» mais sans lesquelles le monde serait si pauvre. Exercice critique donc, mais aussi exercice d’admiration. Et exercice qui, pour le théâtre, représente un enjeu et même un défi, puisqu’on sait que les animaux ne parlent pas.


Les hommes ont depuis toujours été confrontés à l’existence d’autres êtres vivants, différents d’eux, mais pareillement présents sur la Terre et comme eux doués du sens de la vue : les animaux sont au monde comme nous et comme nous ils voient le monde. Cette coexistence a une histoire, une très longue histoire, différente selon les lieux, les peuplades, les religions. Aujourd’hui, cette coexistence touche peut-être à son terme, et les animaux sauvages, à divers degrés, sont tous plus ou moins menacés de disparition. Ce constat, qu’on le trouve terrible ou logique, est le point de départ de Sur le vif.


Qu’il s’agisse de relations réellement contractées (par la chasse, l’élevage, l’abattage ou au contraire la cajolerie) ou de relations imaginaires (par la religion, le rêve, le fantasme), ce qui lie et délie les hommes et les bêtes est proprement vertigineux. Tantôt divinisés, tantôt repoussés dans les limbes de la création, tantôt poursuivis au motif qu’ils seraient nuisibles, tantôt admirés pour leur beauté, tantôt familiers, tantôt étranges et insaisissables, les animaux, en leur extraordinaire variété – de baleine à la fourmi, de la girafe à la puce, de la chouette à la pieuvre etc. – incarnent des mondes différents et aussi tout un clavier d’attitudes humaines envers ces mondes.


Prendre cela pour sujet, c’était se condamner bien sûr à n’être pas exhaustif, mais il nous a semblé qu’une traversée de ce rapport était possible et, surtout, nécessaire : non seulement pour travailler sur la frontière instable qui sépare l’homme des animaux et dont le positionnement est toujours révélateur, mais aussi pour témoigner, via une sorte d’éloge du divers, de la prodigieuse richesse menacée de ces mondes animaux qui nous entourent.


Essayer de comprendre de quoi sont faits ces mondes, ces pelotes de monde que forment les espèces, ce n’est pas seulement accomplir un voyage imaginaire, c’est aussi rendre compte d’une autre manière d’habiter la Terre et de vivre l’espace et le temps. Ce faisant, nous avons dû basculer dans la fable et donner la parole aux animaux, qui, c’est bien connu, ne l’ont pas. Il s’agit bien sûr d’un coup de force, mais qui peut libérer, au théâtre, une énergie et une douceur formidables. Nous commençons avec une discussion humaine, nous finissons avec l’ours, l’âne, le magot, le grand-duc et le renard qui, eux aussi, discutent. Entre ces deux pôles où s’écrit aussi en filigrane un devenir-animal des acteurs, à travers récits, déclarations, dialogues, pantomimes, images projetées, la traversée, qui oscille entre le burlesque et le sombre, progresse par tableaux successifs jusqu’à sa question finale : sommes-nous vraiment prêts à basculer dans un monde où plus rien ne serait sauvage ? Et un tel monde, fondé sur l’éradication de ce qui n’est pas humain, serait-il seulement vivable ?


Le spectacle a été réalisé par touches et approches successives, tout au long d’un travail collectif mené par les acteurs, les techniciens, le metteur en scène et l’auteur. Chemin faisant, nous avons abandonné des directions et des matériaux, pour aboutir à une forme finie mais dans laquelle, subsiste, nous l’espérons, quelque chose de l’atmosphère de notre chantier.


Quelques emprunts demeurent : à Jakob von Uexküll, Apulée et Xénophon pour le texte, à Gilles Aillaud, peintre, et à Frédéric Rossif, cinéaste, pour les images.

Jean-Christophe Bailly

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