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Provisoire(s)

Mélanie Charvy ( Direction artistique )


: Présentation

Création collective / écriture de plateau

"Y'a des gens qui sont dans la merde et je ne peux rien faire ! Ok ? Je ne peux rien faire pour eux ! La seule chose que je peux leur répondre c'est : « Revenez plus tard, il n'y a pas de place ! ». Mon travail c'est de leur dire qu'ils sont dans la merde et qu'ils vont y rester ! Tous les jours je dois leur répondre ça ! "
Mathias Clément, Accueil France Terre d'Asile


Comment peut-on aujourd'hui en France, laisser des êtres humains en souffrance, qui ont fui la guerre, la misère ? Comment parler du phénomène migratoire au Théâtre sans passer par le misérabilisme ?


L’écriture de plateau


LES RENCONTRES POUR COMPRENDRE
Suite à notre travail autour de la pièce J’appelle mes frères de Jonas Hassen Khemiri, j’ai réuni une équipe animée toujours par ce questionnement sur l'origine étrangère. Je voulais abordé un autre aspect en lien avec notre actualité sociale: le phénomène des réfugiés. Extraits de journaux, de séminaires, enregistrements de nos familles, chansons et vidéos ont nourri notre recherche sur Les réflexions personnelles ont fleuri autour de cette question. Une nécessité pour nous accorder collectivement sur notre fil d’Ariane, indispensable pour débuter notre travail à la table.
Après une recherche active auprès de plusieurs institutions en vue d’obtenir des réponses à nos questions, nous avons été reçus au Musée National de l'Immigration, à Réseau Éducation Sans Frontières, à France Terre d'Asile Créteil, au Centre Kirikou, à l'ASSFAM (Association au sein des Centres de Rétentions Administratives de Paris).


LE CHANGEMENT D’OPTIQUE
Ces diverses rencontres ont finalement orienté notre recherche sur les phénomènes de migration. Pourtant, à défaut de parler du réel parcours du combattant des migrants, nous en sommes venus à soulever la complexité de notre organisation administrative et politique autour de cette problématique de la gestion des étrangers en France et en particulier de ceux relevant de la procédure de l'asile.
Afin de pouvoir s’immerger au sein d’une telle organisation complexe, chaque membre de l'équipe artistique a vécu une ou plusieurs journées au sein du centre d'accueil de France Terre d'Asile à Créteil, participé à des réunions d'acteurs sociaux en Centre de Rétention Administrative, parlé avec des migrants, interviewé de nombreux acteurs sociaux en Français Langue Étrangère, à la Préfecture, etc.


LES IMPROVISATIONS POUR THÉÂTRALISER LA RÉALITÉ
Pendant deux mois, les sept comédiens ont improvisé au plateau divers personnages et situations en lien avec la procédure de demande d'Asile, jouant tour à tour migrants, acteurs sociaux, institutions. Une première trame a été écrite avec un personnage principal pour chacun : deux migrants, un agent d'accueil chez France Terre d'Asile, une directrice d'un Centre de Rétention Administrative, une professeur de Français Langue Étrangère, une agent de la Préfecture au service des étrangers et un jeune cadre du Ministère de l'intérieur, section droit des étrangers. Une vingtaine de « petits » personnages viennent agrémenter les différentes situations.


DU PLATEAU À L'ÉCRITURE
M’isolant pendant deux semaines en vue de dégager de nos improvisations une première ébauche de texte, j'ai cherché à rester collée à une vérité poignante tout en permettant une source de jeu pour les comédiens. Je n’ai pas cherché un style d’écriture. J’essaie d’éviter les grands poncifs et d’écrire des moments de vie.


Provisoire(s) a la singularité d’être constamment en mouvement, dans une volonté unique : celle d’atteindre le plus vrai, le plus juste.


La mise en scène de l’écrit


METTRE EN SCÈNE LE CAUCHEMAR
Les rencontres avec les acteurs sociaux m’ont fait découvrir une véritable organisation de la déshumanisation : un univers angoissé et angoissant, dans lequel les situations critiques scandent le quotidien dans un rythme effréné, sacrant la sensation de stress comme impératrice de son fonctionnement. Fuyant les atrocités de la guerre et les crises économiques de leurs pays d’origine, les migrants débarquent en France et se confrontent ainsi à un arsenal d'institutions, toutes sous haute tension.
M'est alors venue l'idée du cauchemar, celui d’une gestion de l'être humain en numéro de dossier, de cas à gérer.
L'arrivée d'Amir et Leïla, migrants marocains, est d'abord accueillie par une forte luminance. Parallèlement, leur arrestation les plonge dans l'arsenal administratif froid. Les lumières froides découpées en diagonale, en cercle, en carré accentuent toujours, en fonction des lieux où se déroulent l'action, cette idée de déshumanisation. Deux praticables placés le long des murs de Cour et Jardin de la scène permettent de jouer sur différentes hauteurs et sont une manière réelle de symboliser l’enfermement mental. Ils sont régulièrement déplacer pour symboliser un nouvel espace scénique: un bureau, un lit, etc.
Je poursuis ici ma recherche amorcée dans J’appelle mes frères, sur la création d’espaces scéniques par la lumière, les couleurs des gélatines, et les formes possibles de découpe.


UTILISER LES OUTILS TECHNOLOGIQUES DE NOTRE GÉNÉRATION
Afin d’accentuer l’atmosphère froid et angoissant dans lequel évoluent les divers personnages, j’ai demandé à Alexis Prieur, créateur son, de venir assister à nos répétitions et de me proposer des musiques électroniques. Le son est toujours utilisé dans une optique concrète et en lien direct avec l’action au plateau : accompagner une montée émotionnelle, ponctuer un changement de situation ou de lieu. Les comédiens travaillent leurs états, le rythme de leurs corps en lien avec celui-ci.
Ce travail de création musicale est également en lien avec celui de création vidéo, amorcé dans J’appelle mes frères. Elle permet davantage de toucher le réalisme : des visages en plan serré en noir et blanc, symbole du rêve et du non-présent. Elle amène à voir au spectateur l’intime, ce que chacun des personnage tente de dissimuler au fond de lui : l’angoisse, le craquage.



L'HUMOUR : ARME DE LA RÉFLEXION
Le pari est de réussir à amener le public à réfléchir sur cette problématique de la gestion de la migration, tout en évitant un quelconque misérabilisme. Passer du rire franc aux larmes lourdes est un concept, une volonté vers laquelle je tends toujours. Ainsi, j'ai mis un point d'honneur à l’infiltration de notes humoristiques dans l'écriture. L’humour comme survie, cela me paraît être une échappatoire nécessaire pour ne pas crouler sous la pression et la gravité du sujet. Ce que je recherche est double : sortir le spectateur du consumérisme culturel et l’amener dans une perpétuelle interrogation pendant le déroulé de l’action sous ses yeux.
Même si le jeu des comédiens se veut réaliste, je les amène à étirer et à grossir les traits pour accentuer théâtralement l'idée du cauchemar et amener une touche de légèreté à certains moments choisis. Je considère la distanciation nécessaire au théâtre. Les personnages principaux sont quasi systématiquement dans un jeu ultra réaliste alors que les personnages secondaires, sans êtres caricaturés, sont eux davantage dessinés dans les corps, les voix, les accents.


OUVRONS NOS PORTES
La Compagnie Les Entichés oeuvre, depuis sa création, à ouvrir la culture pour le plus grand nombre. Ainsi, dans le cadre de cette création, nous avons signé de nombreux partenariats avec diverses associations comme France Terre d'Asile afin de permettre un accès universel à la culture, indispensable à notre émancipation. Un décor minimaliste ne permettra aisément de transposer ma mise en scène dans des lieux atypiques, afin d’innover dans des concepts de représentations hors normes et, de facto, de créer de nouveaux espaces de jeu.
Le théâtre doit pouvoir se rapprocher au plus près de tous, à portée de main.
Provisoire(s), un titre comme résumé de cette pièce. Notre humanité n'est finalement que provisoire.
Chaque situation vécue n'est que provisoire. Rien ne tient, tout s'effrite. À nous de bâtir pour un avenir meilleur.

Mélanie Charvy

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