On voulait des paroles de femme. Et c'est une femme qui raconte des souvenirs, d'un amour ou de plusieurs. On voulait dire de ce qui est du souvenir et des tactiques de la mémoire, qui change souvent de langage, de sujet et de temps. Travailler avec l'épique, le poème en prose et le langage quotidien, et avec un personnage de femme qui ne soit pas une identité fermée mais puisse passer du contexte d’une histoire entière avec de nombreux personnages, des sauts d’un niveau à l’autre, du général au particulier, de la première à la troisième personne, du passé au présent, du tout à la partie, des personnes aux choses.
Cette femme se souvient de l'histoire de Clorinda, personnage du poème épique La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso, guerrière tuée par celui qui l’aime à cause d’un échange d’armure. Les récits s’enchevêtrent : devient elle–même Clorinda ? Trahison et désillusion. Reconnaissance et regard flou. Myopie et rencontres. Des souvenirs comme réparation. Une sorte de femme-sorcière, qui officie des funérailles, les siennes ou celles de son illusion.
Dans un espace scénique abstrait et symbolique, fait de reflets et transparence, brouillard et clarté se déroule la préparation et l’actuation de ce rituel de mort et renaissance. Elle verra dans les vitres et les miroirs des images de soi qu’elle ne soupçonnait pas ; elle tangue entre la réalité et l’illusion et vit, comme nous tous, dans les limbes tissés par l’une et l’autre.
On parle enfin de l’étranger que nous sommes les uns pour les autres, mais comment échappe-t-on au refrain mélancolique et sans issue de « la femme et l’Absent » ? L’espérance naît par l’énergie et la renaissance, la sueur qui coule : au fond l’on vit d’actes charnels et de mots, ceux qui à la fin demeurent.