Onze acteurs – trentenaires, plus ou moins – composent notre collectif.

Dans cette réunion à onze, ce qui nous intéresse, ce sont les différences, conciliables ou irréconciliables. Chaque singularité, chaque spécificité. Travailler ensemble, c’est composer une combinaison inédite ; saisir les propositions, les envies de chacun, qu’elles se malmènent et se stimulent, se fassent avancer. Pas de consensus ni de concessions.
L’absence de metteur en scène est revendiquée. L’envie presse chacun de nous, au stade où nous en sommes, forts et nourris de toutes nos expériences, de nous émanciper de cette figure. La responsabilité est partagée entre nous. Structure horizontale.

Autonomie du jeu et autonomie autour du plateau : c’est tout le processus de production dont nous nous emparons.
Le texte est ‘premier’ et le travail à la table fondamental ; l’histoire commune se construit d’abord dans une phase approfondie d’adaptation, traduction, coupes, ajouts, retranchements… modeler le matériau et ce que l’on veut raconter avec.
Ces fondations essentielles nous permettent de poser les conditions du jeu : un rapport fondamental au présent de la représentation et au public – et c’est ce que nous conservons précieusement de notre expérience en stage avec Jolente de Keersmaeker et Frank Vercruyssen de tg STAN, cadre de notre rencontre. En retardant le plus possible le passage au plateau, nous voulons assumer ce rapport direct avec le spectateur ; ce que nous jouons ne constitue pas une réponse intelligente, une synthèse efficace portant notre vision, mais un compte-rendu honnête de nos recherches, de nos errances, de nos trouvailles.

Dans une telle démarche, la question de l’incarnation est détournée : nous ne venons pas jouer des personnages, nous venons donner à entendre et à voir. Nous ne construisons pas un théâtre de l’illusion, mais un théâtre qui affirme son propre mensonge et dévoile l’endroit de l’implication de chacun. Un théâtre qui fait jeu de tout, de ses codes et du trouble qu’il suscite.

L’horizontalité entre nous vaut aussi dans notre rapport au public. Pas de quatrième mur. Ici et maintenant. Ne pas tricher, ne pas faire croire que nous avons tout compris, que nous savons mieux, mais questionner au bon endroit.
« En exigeant de l’artiste un rapport conscient à son travail, vous avez raison, mais vous confondez deux notions : la résolution de la question et la bonne manière de la poser. Seule la deuxième est obligatoire pour l’artiste.» (Anton Tchekhov. Lettre du 27 octobre 1888 à Souvorine')

En cohérence avec cet attachement au présent, la forme est évolutive, au gré de nos urgences, de ce que nous avons à dire ; chaque lieu de représentation, chaque étape de travail donne lieu à une prise de parole unique. Recomposer le texte. Recomposer le plateau, jouer autrement.
Deux histoires se racontent alors conjointement, en se mélangeant ; celle que contient le texte et la nôtre propre.

L'enjeu est pour nous de construire ensemble et comme d'un seul tenant notre rapport au texte, au jeu, au théâtre, au monde, à la parole... et au fonctionnement interne du collectif, somme d'individus d'une même génération, réunis mais résolument différents.