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Ils vécurent tous horriblement et eurent beaucoup de tourments

Olivier Waibel ( Conception ) , Alexandre Cardin ( Conception ) , Miren Lassus Olasagasti ( Conception )


: Présentation

Dans Petite soeur, mon amour, c’est le frère aîné, Skyler, un garçon de dix-neuf ans aux pensées douloureuses et confuses, qui retrace par écrit l’histoire, dix ans après le meurtre irrésolu de sa soeur Bliss, mini-Miss sur patins à glace, petite reine du New Jersey. Le caractère erratique, gauche, parfois opaque, du récit de Skyler participe de la mise en place du climat plus que délétère qui règne chez les Rampike : portrait cruel et désespéré d’une famille d’aujourd’hui, décrivant des parents carriéristes, voulant parvenir à la notoriété, au sommet de l’échelle sociale, et brisant ainsi leurs enfants, psychologiquement et physiquement, poussés et aidés en cela par les institutions, médicale, scolaire, médiatique ou religieuse. Et tout ça, pour quoi ? Une fille maussade aux ongles rongés et un garçon boiteux aux pensées torves. Les enfants sont ingrats.


Le texte que Joyce Carol Oates consacre à ce « cold case », un cas refroidi en quelque sorte, est décapant, tant sur le plan de la satire de moeurs que de l’écriture. L’écrivain compose un récit cruel où surgissent phrases en italiques et pulsions imprimées en gras, carré noir reflétant une phase d’amnésie ou reproduction en fac-similé d’un cahier d’adolescence suicidaire… Malice suprême de l’écrivain Oates, le narrateur, Skyler, s’excuse du caractère chaotique de son texte, réclamant l’indulgence pour ses répétitions, maladresses, tout à la fois tragédie, conte d’horreur, poème…


Dans ce grand roman de l’enfance blessée, Joyce Carol Oates dépeint du sol au plafond les névroses de la famille contemporaine. Elle s’abandonne à une réflexion sur le succès et l’échec pour mieux renverser la légende. Ce livre n’est pas un album macabre, mais un texte absolument jouissif qui nous emmène dans les souterrains nauséabonds d’une famille crucifiée par la vanité. L’auteur réussit surtout l’impossible : faire revivre l’enfant morte, restituer la douleur de celui qui reste, élever le fait divers du sordide à l’épique. Car à travers l’histoire de Bliss Rampike, c’est tout un pan de l’histoire d’aujourd’hui qui se donne ici à voir.


À l’instar de Skyler, le récit souffre de multiples syndromes, notamment la schizophrénie et ce dysfonctionnement du cerveau qui génère l’impression de déjà-vu. Et c’est bien là, niché dans ces pathologies, qu’éclate la beauté, étrange, dérangeante, de ce livre.


Des anthropologues nous diraient que nous ne pouvons rire de la douleur des autres que si ces autres sont suffisamment autres et n’ont rien à voir avec nous.

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