: Note du metteur en scène
Ce projet naît à Moscou en 2001 d’un désir commun de création avec trois jeunes comédiennes russes,
l’auteur de la pièce Elena Issaïeva et moi-même. Des idées sont lancées et se dégage l’envie de parler de
la vie interne, de ce dont on ne parle pas, de mettre le doigt sur des sujets tabous. Un thème s’impose à
nous : le premier homme dans la vie de chaque femme. Elena entreprend alors une série d’interviews sur
des femmes de tout âge, de tout rang social, de tout univers. De ces précieux témoignages et par son
talent de dramaturge Mon premier homme voit le jour.
Je n’ai pas réalisé tout de suite la portée de ce texte qui me semblait être au début un sujet banal.
J’ai vite compris au fil du travail que nous abordions un thème sensible, riche et inépuisable, celui de
l’amour ancré et profond qui pousse chaque femme à exprimer sa propre manière d’exister, et combien
le caractère de chacune les amène à retranscrire les événements avec un degré plus ou moins grand
de fantasme dans le souvenir. Car c’est bien de cela dont nous parlons : d’une réalité subjective dans le discours. Mon intérêt premier était de ne pas entrer dans une parole didactique mais que
chaque comédienne implique tout son être au moment présent du récit. Elles ne racontent pas.
Elles revivent intensément chaque élément du puzzle de la mémoire avec tous les tours de passepasse
joués par le ressenti humain. Le souvenir grossit, déforme, embellit ou aggrave la réalité.
J’ai vivement souhaité que chacune mette en valeur son propre sens de l’humour. C’est la course
effrénée à la parole, la surenchère, et chaque fille combat avec les armes de son charme unique.
Elles ne se plaignent pas. Elles veulent juste faire entendre au monde à quel point leur
histoire est plus intéressante que celle des autres. Il n’y a aucune place pour les lamentations,
il s’agit avant tout d’une bataille sans fin pour l’amour. Le comique de situation est créé
par cette surenchère. Comment procède-t-on pour se faire entendre
à tout prix ? Entre en jeu l’importance de l’autodérision, de l’ironie,
et de l’implication directe de l’interlocuteur.
J’ai donc orienté le travail vers un mode de jeu basé sur le naturel organique. On doit avoir
l’impression qu’on est allé chercher ces filles dans la rue cinq minutes avant le spectacle
et qu’on leur a demandé de parler de ce qu’elles ont vécu, de ce qui fait qu’elles agissent
aujourd’hui de telle ou de telle manière. Le caractère des personnages est de ce fait au
plus proche du fonctionnement personnel de chaque comédienne, investie bien sûr dans
des histoires qui ne sont pas les leurs.
Depuis neuf ans, Mon premier homme ne quitte pas la scène du Centre de la pièce
nouvelle et sociale Teatr.Doc à Moscou et connaît un succès ininterrompu. Quatre
équipes de comédiennes l’ont joué tour à tour, et je découvre chaque fois mon
spectacle à travers les yeux du public. Je n’avais pas mesuré l’impact étonnant qu’il
a aussi bien sur les femmes que sur le public masculin. Il me semble que notre
thème est une question ouverte à la vie intérieure du spectateur. Les filles parlent
ouvertement de leur intimité et rien ne les arrête. Elles sont en relation directe avec
le public et un travail inconscient d’identification aux histoires personnelles de
tous s’opère. Je découvre donc au fur et à mesure que ce spectacle comporte une
dimension universelle et mon parcours professionnel me menant en France, je
décide de faire traduire le texte et de confronter une nouvelle mise en scène au
public français. Dans cette version jouée par des actrices françaises, j’ai choisi
de ne garder aucun vestige du contexte russe car l’important n’est pas de situer
l’action mais d’entendre une parole humaine. Ces personnages ne sont pas
typiquement russes, mais internationalement femmes.
Alexandre Velikovski
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.