theatre-contemporain.net artcena.fr

Marsiho

d'après Marsiho de André Suarès
mise en scène Philippe Caubère

: Présentation

André Suarès écrit comme on laboure. Il inscrit, il ne bavarde pas. Il crée, il ne raconte pas. Il invente la réalité, il la recrée, il l'inscrit dans les lettres. Il fonde Marseille dans la littérature. Il la baptise, à son tour, il la vénère et lui crache dessus, il fait acte. A chacun des pas du texte, il grave, lourdement, il s'engage. Ses mots tombent comme ceux de Baudelaire, ils enveloppent le lecteur et l'écouteur dans la prégnance d'autre chose qu'un texte de plus à propos de. Ainsi Marsilho est un poème, comme on dit benoitement : un poème en prose. Qu'est-ce qui distingue la poésie du bavardage général ? Je ne sais pas le dire, mais je sais le montrer : venez écouter Caubère défendre sa patrie contre les faux bijoux de la modernité mercantile des représentations spectaculaires. Et zou (adieu !) le football ! (On disait le ballon à l'époque de Suarès, on disait : j'y va/où tu vas/je vais au ballon, sans rigoler, avec le sérieux des gens du peuple) Et zou Tapie la triche, et zou Fernandel pour faire rire les parisiens, et zou le folklore criminel du pastis, et zou dehors l'impossible ville moderne qui voudrait se hisser, la naine, dans les hauteurs de Barcelone ! Ah ! la réussite catalane ! parlons-en. Suarès en parle. Il la honnit cette bourgeoisie marseillaise incapable d'envisager aucun destin, aucune histoire, aucune responsabilité. Le grand ratage. Alors, que reste-t-il sinon les fables, les fabulas de la Canebière, les moqueries chansonesques quant aux filles montées sur leurs pauvres cothurnes, l'exagération de l'accent à rendre fou ceux qui s'y brûlent. Suarès, lui, met en musique des images de feu, l'aigua ardent, l'eau de vie, la violence des mots entiers, l'amour instinctif, le vertige maritime, le désespoir devant ces riches sans autres merveilles que l'opéra, ces joueurs sinistres de la bourse du commerce. Et autour de la Mairie, ah ce mot si désuet à Marseille, qu'on se croirait chez Sciascia en Sicile ! Autour de la Mairie : les bouges de l'infatigable viande des ports. Quelle puissance de refus dans cette écriture ! Quelle force de résistance aux clichés d'obéissance ! Quelle volonté admirable de quitter la peau servile de l'écrivain de la séduction ! Et aujourd'hui, l'écho massif de la solitude et de l'oubli de Suarès raconte ce qui vous attend, les quelques uns qui vous éloignez hors des strass de l'art esclave de la communication. Dans notoriété il y a du notable. Il y a du notaire. La vulgarité de la réussite : si à quarante ans, t'es pas en livre de poche, fais un autre métier. Renonce. Ecrivez en silence comme en vous cachant, jeunes hommes et jeunes femmes libres et entiers. Réussir aujourd'hui comme hier au temps de Suarès, c'est se vouer au vite fait, à l'explicatif, au tautologique, au renoncement général des lettres. Et c'est le chemin que mène encore Suarès. Il n'est pas seul. C'était le chemin de De Richaud, le vauclusien surpuissant poétique, qui finit en écrivant dans l'asile de vieux où il mourra « Je ne suis pas mort » parce qu'il vient de lire sa biographie posthume dans le journal. C'est le cas de Calet. C'est un peu le cas de Delteil et de Paulhan. Une fraternité maladive m'attache à ces « ratés » de la réussite, ces marcheurs de bas-côtés, ces pauvres laboureurs des lettres. Mais ils l'ont mis profond à la littérature, ceux-la. Et Suarès est leur prince qui n'incline jamais comme un marquis de la notoriété.

Claude Guerre, directeur de la Maison de la Poésie

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.