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Les Travaux et les jours

+ d'infos sur le texte de Michel Vinaver
mise en scène Robert Cantarella

: Le champ du travail

Les Travaux et les jours a été écrite en 1977.


Deux textes anciens sont cités en exergue, aux côtés d'un extrait de discours d'André Giraud, ministre de l'Industrie de l'époque. D'une part, le texte d'Hésiode (VIIIe siècle avant J.-C.) qui donne son titre à la pièce de Vinaver ; d'autre part, La Queste del Saint Graal (XIIIe siècle). Au-delà de l'éclairage temporel qu'apporte le titre, encore conforté par l'allitération des trois mots moteur/mourir/moulin dans les trois premières répliques, la référence à Hésiode est loin d'être anecdotique. Il y est question de la justice et de l'injustice, du travail envoyé par Zeus aux hommes pour les punir, en même temps qu'il est le seul moyen de leur accomplissement. Hésiode a écrit ce texte dans un moment de creux du vécu de l'homme par rapport au sommet épique auquel correspondent @#L'Iliade et @#L'Odyssée. Parallèlement à Hésiode, Michel Vinaver écrit dans le moment de creux qui a suivi l'éclatement du grand capitalisme.


Quant à la citation extraite de La Queste del Saint Graal, elle met l'accent sur le thème de la terre " gaste ", c'est-à-dire dévastée, stérile, où plus rien ne peut pousser. Par là, elle renvoie d'un couple : l'âge d'or et ce qui a suivi l'âge d'or. Aussi, @#Les Travaux et les jours comporte-t-elle une quête, celle de l'harmonie entre ce qui a pu exister et ce qui est (c'est sans doute vrai de tout le théâtre de Michel Vinaver). Dès le premier morceau de la pièce - qui en comporte neuf - se développe, au milieu des conversations quotidiennes des employés du Service Après Vente de l'entreprise Cosson, un champ lexical de conte de fées (" Elle qui habite toute seule et c'est en pleine campagne "/ " Je ne suis pas un méchant loup "/ " Un très vieux pharmacien me l'a dit ").


D'emblée, l'auteur prend le soin d'orienter notre lecture vers un au-delà de l'enquête sociologique, ou de l'étude de mœurs, sur la vie de l'entreprise Cosson qui vend des moulins à café. " … ce dont s'est toujours occupé le théâtre, c'est la menace de dislocation d'un ordre. L'ordre du monde, la place de l'homme dans ce monde, la conduite à y tenir… écrivant pour le théâtre, j'ai eu recours au champ du travail, en tant que substitut de ce qui générait l'action dramatique jusqu'à présent. "(M.V., entretien avec Jean-François Marchandise, 1997). Les champs de bataille se sont déplacés vers l'entreprise. Elle est un épicentre de conflits : entre la sphère publique et la sphère privée (dans Les Travaux et les jours, un vocabulaire affectif est souvent affecté à " la maison Cosson " tandis que les procédures Cosson envahissent les rapports amoureux ou familiaux), entre les êtres, à l'intérieur même des êtres. " L'erreur est peut-être de penser que " le travail c'est faire quelque chose ". Non : le travail, c'est être dans quelque chose. "


Au sein de l'entreprise Cosson, ça tourne : les moulins, les moteurs, les positions hiérarchiques, les amours. Et l'image négative, ici, c'est " être immobile au milieu du tourbillon ". L'entreprise est un grand corps (toutes les parties du corps humain sont déclinées dans la pièce) vivant et malade. Contre la maladie, contre l'extension du désert, l'amour qui réinvente sans cesse ses propres formes. En neuf morceaux, au terme de boucles jamais closes, quelque chose éclot. Les Travaux et les jours est l'une des rares pièces de Michel Vinaver à connaître un happy-end.


Aux références dûment citées, il faudrait encore ajouter la présence du poète américain T.S. Eliot dont Michel Vinaver a traduit dans sa jeunesse The Waste Land (qui signifie littéralement la terre gaste). Dans sa préface à la publication du poème (revue Poésie, n°31), il analyse son importance par des termes qui semblent parfaitement se rapporter à sa propre écriture : " C'est ma maison… Ce qui fait partie de cette " habitation ", c'est la primauté du rythme par lequel il y a poussée vers le sens ; c'est le traitement contrapuntique d'une multiplicité de thèmes autonomes ; c'est la prééminence des thèmes sur les éléments d'intrigue ; c'est le mouvement donné aux thèmes pour qu'ils s'entrechoquent ou se frottent les uns aux autres jusqu'au point de fusion, plutôt qu'un mouvement d'enchaînement causal ; c'est l'antériorité de la parole, les personnages se constituant à partir de l'éruption du tout-venant des mots ; c'est l'émergence à tâtons d'une structure partant à la découverte d'elle-même plutôt que la mise en place d'un cadre pré-existant (un sujet, une situation, des personnages) ; c'est le niveau moléculaire où la jointure se fait entre le plus universel et le plus trivial, entre le mythique et le quotidien, entre le plus ancien et l'absolument actuel - sans passage par la métaphore et encore moins l'allégorie ; c'est la composition par juxtaposition d'éléments fragmentaires et réfractaires, plutôt que par développement ; c'est la pratique de l'assemblage, du collage, du lacérage ; et c'est aussi une indigence verbale, le dos tourné au beau langage, à l'ornement. Le lecteur (le spectateur) est invité à se faire son chemin dans cette matière en formation dont les boucles ne se ferment pas, à laisser se faire pour lui-même les connections qui lui parviennent à partir d'une pluralité indéterminée de possibilités. "

Marie-Pia Bureau

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