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Les Ogres

mise en scène Christiane Véricel

: Entretien avec Christiane Véricel

par Manuel Piolat Soleymat

Quel est le thème central de ce nouveau spectacle Les Ogres ?


Cette nouvelle création développe et creuse un thème qui traverse souvent, d’une façon ou d’une autre, mes spectacles : le thème des ogres, des insatiables, des boulimiques… Je crois que j’ai quasiment toujours travaillé sur la confrontation de personnages qui manquent de nourriture et d’autres qui ont à manger. Car, le thème de la faim est relié à tous les grands conflits humains, à tous les grandes crises du monde. De la même manière, j’ai souvent travaillé sur l’immigration, sur les gens qui cherchent, quelque part sur terre, un endroit où habiter. Mes spectacles partent de sujets profondément ancrés dans l’actualité, de choses concrètes et simples : les vases communicants, le vide et le plein...


Considérez-vous Les Ogres comme le prolongement naturel d’Ici là-bas, votre précédente création ?


Absolument. Chaque nouveau spectacle est, en quelque sorte, la suite de celui qui l’a précédé. Même si les fils qui relient entre elles mes différentes créations ne sont pas toujours immédiatement visibles, ils existent, de manière plus ou moins souterraine.


Vos spectacles cherchent à ne pas tomber dans le manichéisme ou le didactisme. Comment traitez-vous, ici, la figure de l’ogre ?


Nous essayons de montrer toutes sortes d’ogres : des bons, des mauvais, des sympathiques, des violents, des drôles… Les spectacles de notre compagnie s’attachent en effet toujours à ne pas présenter de réalités trop simples et trop balisées. L’enjeu, pour moi, est vraiment d’éclairer les choses avec subtilité, de raconter des histoires vivantes, dans toute leur complexité.


Vous explorez également, dans ce spectacle, la notion du bonheur. Est-ce, pour vous, une thématique intimement liée à celle de la voracité ?


La première question qui vient à l’esprit lorsque l’on parle de voracité, c’est souvent celle du bonheur. Que cherchent les ogres ? Est-ce que, pour eux, le bonheur ne réside que dans l’absorption, que dans la consommation ? Nous sommes tous mortels, je me demande donc le sens que l’on peut donner à cette façon de toujours accumuler le plus de choses possibles, d’en vouloir toujours plus. Je me demande ce que ces accumulateurs forcenés peuvent faire de leur butin. De quelle manière en profitent-ils étant donné qu’il leur est matériellement impossible, dans l’espace d’une vie, de jouir de toutes les richesses qu’ils ont amassées ? Pour cette création, j’ai souhaité faire quelque chose que je ne fais habituellement pas : interroger des enfants sur leur idée du bonheur. Car, j’ai eu la possibilité d’échanger des courriers avec une classe d’élèves tchèques. Beaucoup d’entre eux m’ont parlé de liberté, d’espace, de famille, du “faire ce que l’on veut”… Quelques-uns ont bien sûr évoqué la richesse, mais assez peu. Je dois avouer que cela m’a rassuré de me rendre compte que, pour la grande majorité de ces enfants, le bonheur n’est pas simplement de posséder une piscine.


Mis à part le bonheur, quelles autres thématiques explorez-vous dans Les Ogres ? Toutes les grandes thématiques qui sont habituellement présentes dans mes spectacles.
Le territoire, par exemple. Car pour moi, si l’on n’a pas d’espace à soi, c’est comme si l’on n’avait pas de nourriture. Symboliquement, les problématiques de la nourriture et du territoire sont identiques. C’est l’idée du vide et du plein, de la privation et de l’abondance, de l’espace et du confinement, de l’entassement. L’image des bateaux remplis de boat-people est pour moi, de ce point de vue, saisissante. De même, celle des paysans d’Amazonie ou du Nord-Est du Brésil expulsés sans ménagement de leurs propres terres ou encore celle des terres agricoles de Madagascar louées par des groupes industriels coréens par exemple…
Ensuite, pour éviter toute forme de manichéisme, j’essaie, comme je l’ai dit, de varier les approches pour envisager tous les mouvements possibles, toutes les variantes qui font la liaison entre le vide et le plein. Je souhaite éclairer tout cela avec humour et dérision, afin de faire ressentir le ridicule qu’impliquent certaines attitudes et certains contrastes.


Quelle place avez-vous donnée au conte et au mythe dans ce nouveau spectacle ?


J’ai beaucoup travaillé, il y a longtemps, sur l’univers du conte de fée et du mythe.
Évidemment, lorsque j’ai commencé à concevoir Les Ogres , toutes les choses que j’avais alors investies ont ressurgi en moi. Et ces résurgences m’ont mise mal à l’aise. Car, je ne voulais pas revenir à tout cela, du moins pas de la même façon qu’à l’époque. Aujourd’hui, ce sont plutôt les choses liées à l’actualité que je trouve intéressantes.
Cependant, lorsque l’on crée des spectacles sans texte préétabli, comme je le fais, il faut posséder à l’intérieur de soi un matériau riche et composite dans lequel on peut puiser au fur et à mesure que naissent les situations créées par les comédiens.
A présent, je ne souhaite plus centrer mon travail sur le conte ou le mythe. J’ai donc amené les interprètes à travailler autour d’histoires qui concernent directement le monde d’aujourd’hui. Pour autant, lorsqu’on élabore une représentation sur le thème de l’ogre, je crois qu’il est difficile d’échapper totalement à ces deux domaines de références. Ainsi, au cours de nos séances de travail, lorsque cela me semble pertinent, je m'autorise à nourrir ce que je voyais apparaître sur scène d’images et de symboliques liées au conte.


Vos créations s’appuient autant sur votre propre imaginaire que sur celui des comédiens…


Oui. Tous nos imaginaires se confrontent et s’enrichissent les uns les autres. Ceci afi n que nos créations reflètent l’identité et les envies de chacun d’entre nous. Chaque membre du groupe est tour à tour interprète et spectateur de la représentation, ce qui donne lieu à des échanges extrêmement riches, des échanges fondés sur l’idée de plaisir. Car pour moi, s’il n’y a pas de plaisir, il n’y a pas de théâtre. Et mon rôle de metteure en scène est de faire en sorte que, sans jamais remettre en cause notre exigence artistique, ce plaisir soit partagé par le public. Un public que je souhaite le plus large possible, un peu à l’image de nos spectacles : un public métissé d’un point de vue social, culturel, générationnel…

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