theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Les Nouvelles Aventures de Peer Gynt »

Les Nouvelles Aventures de Peer Gynt

+ d'infos sur l'adaptation de Sylvain Maurice ,
d'après Peer Gynt de Henrik Ibsen
mise en scène Sylvain Maurice

: Entretien avec Sylvain Maurice

Sylvain Maurice, c’est votre troisième mise en scène de Peer Gynt. La première était en 2003, dans le cadre d’Odyssées en Yvelines à l’initiative de Joël Jouanneau et Claude Sévenier, puis en 2008 au Nouveau Théâtre de Besançon, et aujourd’hui, treize ans plus tard, de nouveau à Sartrouville. Pourquoi cette constance ? Qu’est-ce qui vous attache particulièrement à cette pièce ?


En fait, je vieillis avec Peer Gynt ! Et comme c’est l’histoire d’un homme, de l’enfance à la vieillesse... Je crois qu’il y a beaucoup de malentendus sur cette pièce : comme il y a tout un folklore qui s’y attache (les trolls, le Courbe, le Fondeur), on croit que c’est une pièce un peu mystérieuse, une pièce ésotérique... Alors que cela raconte avant tout la vie d’un homme qui ne veut pas s’engager. Dès que Peer est confronté à un choix irréversible, et en premier lieu aimer – le vrai amour, avec toutes ses vicissitudes, pas l’amour idéal – il se débrouille pour s’échapper. Le spectateur est confronté à un paradoxe : Peer n’est pas héroïque, il est même souvent très lâche, et pourtant il fascine par sa capacité de rebond, par sa vitalité. Son inventivité est inverse- ment proportionnelle à son déni du réel. Et ça je crois que cela a beaucoup à voir avec le théâtre : est-ce qu’on fait du théâtre pour se coltiner au réel ou bien pour lui échapper ? Certainement les deux... Moi en tout cas, je fais du théâtre dans cette contradiction et c’est pour cela, je crois, que je reviens sans cesse à cette œuvre.


En quoi ce personnage peut-il intéresser les enfants ?


Justement pour la question du jeu, de l’imaginaire. Au début de la pièce, Peer vit seul avec sa mère et ils ont une relation aussi géniale que folle : Peer affabule et mélange allègrement la réalité et la fiction. Åse souffre de la « mythomanie » de son fils mais elle en est aussi à l’origine : elle a fondé en Peer l’espoir d’être réparée de ses propres échecs. Donc Peer joue et ment pour la distraire et se distraire lui-même des contradictions de leur vie. Et ça, je crois que les enfants le comprennent très bien. Tous les enfants ne sont évidemment pas confrontés à des situations aussi paradoxales que celles de Peer, mais ce moteur – rendre ses parents heureux – chacun, enfant ou adulte, peut le comprendre.


Comment adapte-t-on une œuvre aussi longue et riche ? Quels sont vos choix et en particulier pour les enfants ? Est-ce que cette adaptation est identique de votre première version pour les enfants ?


Elle est très différente. La version de 2003 était une sorte de « compression de chef-d’œuvre » : j’avais souhaité respecter tous les épisodes de l’original, sur le mode du résumé en quelque sorte. Là je me suis attaché à mieux faire résonner le point de départ – l’enfance de Peer avec cette relation si singulière avec la mère – pour éclairer les épisodes suivants. J’ai essayé de mieux faire entendre l’origine intime des agissements de Peer. J’ai également essayé de supprimer toutes références à des choses qu’on ne verrait pas sur scène, au prétexte que nous avons dû couper : je veux qu’il y ait une autonomie de l’adaptation. Mon rêve serait qu’on oublie l’original au profit de notre récit. Enfin, et cela n’a pas été une mince affaire, j’ai voulu être assez concret sur la dernière partie, avec la question « d’être soi-même ».


Oui, c’est la partie philosophique de la pièce. C’est peut être un peu abstrait pour les enfants...


Je ne crois pas, parce que justement « être soi-même » dans la pièce c’est très réel : si Peer avait assumé ses contradictions face à Solvejg, il aurait été dans une forme d’authenticité, il aurait été lui-même. Au lieu de cela, il n’a cessé de vouloir s’échapper. Le dernier acte fait résonner le point de départ : l’imaginaire est une impasse si c’est une manière d’échapper au réel. En même temps – et c’est le paradoxe génial auquel Peer est confronté – c’est ce même imaginaire qui lui permet de tenir debout et d’avancer. Sans le mensonge, il est probable que le personnage s’effondrerait.


Vous citez souvent un texte qu’Antoine Vitez a écrit après avoir vu la mise en scène de Chéreau en 1981...


Oui. En plus d’être un très beau texte sur l’enfance de l’art et sur les pouvoirs de l’imaginaire, il nous éclaire sur la nature épique de la pièce. Par épique – qui est un mot un peu compliqué – j’entends, dans ce contexte, un théâtre de tréteaux. Vitez semble indiquer que Peer Gynt doit se jouer sur un mode forain. Et en effet, c’est à la fois un théâtre de l’intime, mais c’est aussi un théâtre très en relation avec le public, très adressé, très ouvert. C’est très important pour moi de pouvoir nous adresser aux enfants, dans les différents sens de l’adresse, dans sa dimension abstraite (on pense à eux quand on travaille) et aussi dans sa dimension concrète (Peer leur parle et joue avec eux).


Quel sera l’espace choisi ? Quel est votre parti-pris scénographique ?


Nous avons imaginé avec Antonin Bouvret un espace circulaire, en référence au cirque. Et un espace en mouvement, qui permet à Peer d’avancer.


Depuis plusieurs spectacles vous proposez des espaces en mouvement. Pour Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, vous avez inventé avec Éric Soyer un dispositif mobile avec un tapis roulant. Pour Peer Gynt vous faites construire ce qu’on appelle « une tournette ». Avez-vous une fascination pour ces machineries ?


Certainement. L’espace, dans ces deux œuvres, c’est le temps. Le temps de la greffe du cœur dans Réparer les vivants. Le temps de la vie pour Peer. Ce sont deux œuvres habitées par l’urgence, hantées par la fugacité de l’existence. Bien que très différentes, ce sont des œuvres qui célèbrent toutes deux le mouvement de la vie.


Source : Théâtre de Sartrouville – CDN, novembre 2015.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.