Tragique est notre existence. Tragique est notre horizon. Tragique sera notre réponse : réaction à la disparition de ce qui a été et qui ne sera plus, à l'absurde de la constatation, à l'existence, aux guerres primordiales qui ont débuté sur un coup de tête sanglant. Tragique le théâtre. Tragique l'attente du public qui veut sentir la courbe destinée et les résolutions cathartiques. Tragique la mise en scène (la scène qui a tout d'un promontoire.) Tragique est l'instant, arraché à un soir ordinaire. Tragique l'espace où se retrouver nous coûte de ne pas avoir été ailleurs. Tragique notre ambition de faire converger des points manifestement isolés dans une même ligne de fuite. Tragique est le théorème dans lequel tout est dit depuis que tout est énoncé, depuis le début, depuis avant le début – un drame programmé à se rejouer malgré les efforts de carrefour. Tragique notre représentation : tentative de présent avec vue sur le passé, condamné à refluer et à refouler. Tragique notre morale : un ni oui ni non fou, un prodigieux par-delà Bien et Mal. Tragiques sont les dés brassés sur une table de jeu faite pour le spectacle et la grande divination. Tragique surtout est notre volonté : l'affirmation de la joie. La persévérance dans un amour absolu en ce qui vient, en ce qui perce la nuit avec toutes ses possibilités de révolte et d'étoiles allumées – parce qu'« en l’absence de toute raison crédible de vivre, il n’y a que la joie qui tienne, précisément parce que celle-ci se passe de toute raison. »