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Franck : Je m’appelle Franck, j’ai quarante ans.

Quand j’étais petit j’avais un retard de croissance, je ne grandissais pas, on me pesait tous les jours, on me mesurait, on mesurait ma nuque, ma tête, mes pieds, mes poignets, mes testicules, on avait beau mesurer, rien n’y faisait, je restais petit. On trouvait rien, juste un retard, un gigantesque retard de croissance. A l’école, j’étais tout le temps fatigué, une sorte de fatigue totale, sans borne, un océan de fatigue. Le groupe m’étouffait, m’empêchait de respirer, et pour ne pas mourir je me retirais en moi-même. Jusqu’au jour de mon dixième anniversaire ce retard de croissance m’a rejeté au bord du monde, à la lisière du non-né. Pendant dix ans, pendant ces dix années innocentes de l’enfance, j’ai marché main dans la main avec la mort.

Je me souviens de mon dernier séjour en maison d’enfant, à la montagne, où on m’envoyait respirer le bon air, l’air pur, pendant des mois. Le dernier jour de mon dernier séjour, j’ai attendu que ma mère vienne me chercher, accroché aux barreaux de la grille du Centre. Pendant des heures. J’attendais. Puis une des animatrices est venu, et m’a dit, gentiment : ta mère ne viendra pas aujourd’hui, mon petit, elle viendra demain.

Je me suis retiré très loin, dans un corps démesurément petit et fragile pendant dix ans, en moi-même, pour échapper aux autres. Aujourd’hui encore, en groupe, j’ai toujours peur d’étouffer. Cette sensation d’étouffement, cette angoisse, c’est là, dans les poumons, la cage thoracique, ça me comprime.
Ma première nuit au Centre : ridicule, terrifiante.

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