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Le Petit musée de la catastrophe

Bruno Boussagol ( Conception ) , Véronique Boutroux ( Texte )


: Présentation

Depuis 1998, Brut de béton production a mis en scène 9 “spectacles” à partir de la catastrophe de Tchernobyl. Nous sommes allés plusieurs fois en Biélorussie et en Ukraine. En 2006 -vingt ans après la catastrophe- nous avons joué devant le réacteur en hommage aux liquidateurs (1 million) qui se sont sacrifiés pour réduire les effets de la contamination.

Un des projets que nous comptions réaliser à partir de “la diagonale de Tchernobyl” (c’est le nom générique du projet 2005-2006) était un “musée de la catastrophe” inspiré par les écrits de Paul Virilio. C’est pourquoi durant notre séjour en Ukraine en avril mai 2006 nous avons visité trois musées relatifs à la catastrophe de Tchernobyl. - Le plus important est à Kiev. Il présente une accumulation de pièces authentiques [1].


- À Ivankiv deux salles du musée “d’histoire naturelle” sont dévolues à la catastrophe de Tchernobyl [2].


- Le troisième musée est celui de Krasyatichi, le village qui a accueilli la “diagonale de Tchernobyl” pendant 3 semaines.
Il est aussi le plus intrigant. En particulier parce qu’on se pose tout de suite la question de son adresse. Pratiquement personne ne vient jusqu’ici. Ce serait plutôt un village dont on part. Une seule salle d’une trentaine de mètres carrés.
Poteries anciennes, vanneries paysannes, costumes folkloriques, cartes, dessins, tableaux peints, fleurs séchées… Et puis une photo d’identité, la photocopie d’un diplôme, la photocopie d’une médaille, enfin la photocopie d’un article de presse. Nous sommes là dans la section réservée à la catastrophe de Tchernobyl.
Deux heures durant une femme va nous guider. En fait elle va nous parler, nous révéler la vie, celle qu’elle connaît, celle de cette région du monde où elle est née et qu’elle ne quittera jamais de son vivant. Elle témoigne. Sa voix est douce mais ferme, son corps fin, sa peau translucide. Elle ne sourit jamais, mais elle nous parle à chacun. Nous sommes captivés. Quelque chose de profondément humain se passe : une rencontre au bout du monde comme on en fait peu dans sa vie. Tchernobyl se révèle en elle. Ce mal absolu que l’homme a inventé de toutes pièces est ici incarné par une personne qui vaut toute l’humanité.


Depuis la luxueuse et impressionnante exposition de la Fondation Cartier sur Paul Virilio la question de la représentation de la catastrophe est un objet d’étude. Toute catastrophe est spectaculaire et pour peu qu’au moins un photographe ou vidéaste ait été présent, ce qu’il aura enregistré fera le tour du monde médiatique tant le public jouit littéralement de cette rupture du temps et de l’espace.
Mais le temps passe et l’émotion aussi. Bientôt ne reste qu’un vague souvenir, une date.


L’exposition accumulait les films catastrophes. Leur vision réveillait un intérêt vague pour ce qui, à l’époque de la catastrophe nous avait fait vibrer. Las, nous étions gagnés par la dépression, la dépréciation. Seul un dialogue filmé entre Paul Virilio et Svetlana Alexievitch donnait du relief au projet. Précisément parce qu’il était question de Tchernobyl et parce qu’il y avait de la parole, du témoignage, de l’échange d’idées qui forçait à l’écoute.
Tchernobyl est une catastrophe d’une nature inédite.
Nous le savons maintenant que chacun compte ses morts en silence. Avec cette catastrophe, il y aura toujours plus de morts après que pendant. Pas de reconstruction possible, pas d’oubli possible. Mais en place le mensonge des États et le déni des populations.


Notre expérience va nous amener à adopter un point de vue radical et inédit concernant la muséographie : il est inutile d’avoir des pièces originales. Ce qui garantit c’est le discours. En effet, outre que les objets de “valeurs” sont contaminés et par là même dangereux, c’est le témoignage à partir de l’objet (représenté par une photocopie et pourquoi pas par un autre objet) qui l’authentifie.
La contamination n’est pas représentable. Tchernobyl n’est pas représentable.
Notre musée ne sera pas le lieu de l’authentique, de la valeur. Il sera fondamentalement pauvre. Il sera le lieu de la transmission d’un savoir acquis par l’expérience.


Véronique Boutroux va prendre en charge ce musée.
Elle est photographe. Je dirai que son regard permet de faire voir ce qui dans le noir luit à ses yeux. La rencontre entre l’invisible de la contamination et son rapport à l’in vu va donner des photographies singulières, peu spectaculaires, à la fois ordinaires et fulgurantes.
Un objet exposé (une framboise, un bol de lait, uns sculpture-tirelire en terre de Lénine, une chaussure…) sera mis en tension avec une de ses photographies.



De retour en France, elle écrira un texte, produit alchimique de sa rencontre avec la guide de Krasyatichi, son savoir acquis sur la catastrophe, sa pratique personnelle de la région et des habitants, son style. Enfin elle adoptera un jeu qui créera une tension entre représentation théâtrale et visite guidée.


La catastrophe de Tchernobyl n’en finit pas de commencer.
“Le petit musée de la catastrophe” pose aussi la question d’un musée du temps présent. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’il assume.

Notes

[1] Des panneaux d’entrées de villes et villages évacués, des médailles et des diplômes (comme témoignages de reconnaissance de l’Union soviétique aux liquidateurs), des photographies des liquidateurs, des vêtements, des outils et des instruments de mesure de la contamination. De courtes séquences filmées sont proposées. Elles témoignent de plusieurs étapes de décontamination du réacteur même, de l’évacuation de Pripiat (50 000 habitants) et de plusieurs villages. La pellicule est de qualité médiocre. Elle est grêlée de points et de flashs dont on comprend bientôt qu’ils sont un effet de la radioactivité au moment du tournage. Une maquette animée représente plusieurs phases de la catastrophe. Une grande salle propose des expositions temporaires. Des guides présentent les faits suivant une “version officielle”. L’atmosphère est au recueillement. On pense à un musée de la 2ème guerre mondiale.

[2] Nous sommes à l’orée d’une zone évacuée. De nombreux habitants ont participé au “nettoyage” et aux évacuations. Certains sont morts, beaucoup sont malades. Des “déplacés” des villages proches vivent désormais ici. Comme à Kiev sont présentés des objets, médailles, diplômes, vêtements de protection. Mais ceux-ci ont appartenu à des personnes proches des habitants de la ville et des environs.

Bruno Boussagol

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