Sur la route départementale entre Sebalia et Greti, dans la province de Mortara, il y a une très longue portion rectiligne (appelée couramment « la tirée »), flanquée de deux files ininterrompues de platanes.Le matin du dimanche 30 juin à trois heures quinze, peu avant l’aube, un motocycliste arrivant de Sebalia découvre, juste à l’endroit où finit la portion rectiligne, une voiture encastrée dans un arbre. Il s’arrête, s’approche, et voit dans la voiture trois personnes dont deux au moins ont cessé de vivre. Les trois victimes, transportées à l’hôpital de Mortara, sont identifiées : il s’agit de trois des membres du Quatuor Mastorna, qui se rendaient à Florence pour y donner un récital. Pour une raison qui demeure inconnue, ils étaient allés finir à vive allure contre un arbre. Les deux femmes sont mortes sur le coup ; l’homme, arrivé à l’hôpital dans un état très sérieux, meurt deux jours plus tard. Pratiquement sept mois plus tard, le 23 Février, vers quatre heures du matin, le chauffeur d’un camion qui parcourt la route entre Sebalia et Greti, arrivé presque à la fin de la portion rectiligne, aperçoit une automobile écrasée contre un arbre. Il s’arrête, s’approche et découvre dans la voiture trois personnes dont deux au moins ont cessé de vivre. Le camionneur donne l’alerte. Il se trouve que le conducteur de l’ambulance est celui qui, fin juin, était venu chercher les malheureux membres du Quatuor Mastorna. Il est frappé par la ressemblance ; les victimes se trouvent à bord d’une voiture de la même marque, du même modèle, de la même couleur ; et elles sont allées percuter le même arbre, à peu près à la même heure, avec les mêmes conséquences... Et en effet : d’après les papiers trouvés dans la voiture, les trois personnes s’avèrent être précisément les membres du quatuor Mastorna. »

Adaptation du Cas Mastorna de Dino Buzzati, d’après Etranges déformations de ce que l’on appelle l’espace-temps, Pianeta N° 9, Septembre-Novembre 1965