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Le Jeu de l'amour et du hasard

+ d'infos sur le texte de  Marivaux
mise en scène Laurent Laffargue

: Présentation

« Ce que je sais, c’est que je suis. Ce que je ne sais pas, c’est ce que je suis »...
Dans ses Etudes sur le temps humain (1949), Georges Poulet distille, en cet aphorisme concis, la condition du « personnage » marivaudien face au monde. Dépouillé de l’habit qui l’enrubanne solidement à son statut social, travesti sous le masque d’un autre ou ravi à lui-même par surprise, il surgit dans l’étonnement de ce qui survient et se découvre, piqué à vif par la flamme, brutalement abandonné en son être privé du paraître.


Dans Le jeu de l’amour et du hasard (créé en 1730 par les Comédiens italiens), Marivaux met encore les coeurs à l’épreuve et saisit d’une plume alerte la lutte que chacun livre en son for intérieur pour s’accorder à lui-même, entre ses élans et sa situation. Ainsi de Dorante et Silvia. Fiancés, par l’amitié de leurs pères, ils redoutent de s’engager sans se connaître et usent, sans le savoir, du même stratagème pour observer à leur guise la vraie mine de leur « parti ». Tous deux, se glissent sous la mise de leurs domestiques, Arlequin et Lisette, qui revêtent alors leurs rôles. Mais le maître, caché sous sa livrée, s’éprend de la maîtresse, déguisée en servante ; tandis que le valet endimanché s’amourache de la soubrette toilettée qu’il prend pour la promise...


Car on ne change de langage comme d’équipage. « L’habitus » qui sait parer le verbe d’atours élégants séduit mieux que les jolis rubans, la naissance sait se reconnaître dans les belles manières. Pour autant, craignant la mésalliance, Dorante comme Silvia résistent à leurs sentiments, alors que leurs gens, tout au contraire, espèrent en leur idylle pour se hisser d’un rang.
C’est toute la mécanique subtile de cette double partition, amoureuse et sociale, que je souhaite mettre en scène, en m’appuyant sur les codes actuels. Car bien qu’en apparence plus égalitaire, notre société reste pourtant cloisonnée. Les marqueurs sociaux de la distinction se font sans doute plus discrets et habiles, quand se déclinent à longueur de magazines les icônes glamour, « must-have » et autres marques qui fondent l’être dans l’objet et servent de repères identitaires, surtout chez les adolescents...


Marivaux montre des individus en quête de (leur) vérité, qui se cherchent encore et découvrent un sentiment pour eux inconnu, tout à la fois délicieux et effrayant : l’amour. C’est pourquoi j’ai choisi de très jeunes comédiens pour les interpréter. Les personnages vivent cette expérience, chavirés par les premières bourrasques du désir. L’expérience où Marivaux jette ces jeunes gens les démet de leur fonction et les perd dans le doute de leur identité. Ils espèrent être aimés pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils représentent. L’espace, en perpétuelle métamorphose, révèlent les mouvements intérieurs qui les travaillent, à l’insu de leur conscience.


A ce compte-là, les maîtres sont les plus entravés, déchirés entre leur moi et leur sur-moi social, entre ce qu’ils voudraient dire et ce qu’ils disent. Leur amour bute sur l’amour-propre. C’est là aussi tout le mordant de la comédie, irrésistible et cruelle. Derrière le rire et la danse allègre des mots, se devinent la panique intime et l’âpreté de ce combat entre soi et soi, jusqu’à ce que la vérité advienne par le mensonge... et le jeu du théâtre.



Laurent Laffargue, metteur en scène.
(Propos reccueillis par Gwénola David, dramaturge).

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