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Laissez la jeunesse tranquille

mise en scène Léna Paugam

: Note d’intention

« L’essentiel, c’est de se rendre parfaitement inutile, de s’absorber dans le courant commun, de redevenir poisson et non de jouer les monstres ; le seul profit, me disais-je, que je puisse tirer de l’acte d’écrire, c’est de voir disparaître de ce qui fait les verrières qui me séparent du monde »
In MILLER, Sexus, éd. Buchet-Chastel, p.29


Depuis sa création en 2012, la Compagnie Lyncéus-Théâtre explore les dramaturgies contemporaines et leur incidence sur le monde d’aujourd’hui. Ses spectacles se répartissent aujourd’hui en deux cycles de recherche: le premier, réalisé dans le cadre du dispositif doctoral « Science Art Création Recherche » à Paris Science et Lettres, porte sur la question du désir telle qu’elle est abordée dans les écritures théâtrales du point de vue du fond comme de la forme, c’est-à-dire aussi bien en tant que thématique qu’en tant que cadre esthétique ou poétique déterminant un certain rapport au temps et à l’action dans la facture des pièces de théâtre – ce cycle s’intitule « La Crise du désir – états de suspension, espaces d’incertitude » - ; le second porte le titre suivant: « Ecritures dans la ville, théâtre en terre publique », il désigne une recherche portée sur l’immersion de l’art hors des murs du théâtre et permet à la compagnie de s’interroger sur la place et la mission des auteurs, metteurs en scène, acteurs, au sein de la société, dans le contexte d’une réflexion sur la nécessité et la légitimité d’un théâtre de service public.


La création de Laisse la jeunesse tranquille s’inscrit au carrefour de ces deux chantiers de recherche.


Invité par Guillaume Hasson, (directeur du festival Les Théâtrales Charles Dullin), à réaliser une série d’entretiens dans le Val de Marne avec des jeunes de 18 à 25 ans puis à composer une oeuvre à partir de cette matière, le dramaturge Côme de Bellescize a répondu à sa manière à nos interrogations.


Connaissant mon travail en tant que metteur en scène, intéressé par les réflexions que je poursuis sur les états du désir dans l’art, dans la pensée et dans la société contemporaine, il m’a proposé de mettre en scène cette pièce avec des comédiens issus comme moi du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. L’intérêt de cette rencontre a consisté dans le fait de mettre en commun un questionnement sur le rapport des jeunes à l’action, à l’engagement, au projet, au rêve, à l’avenir. Pour cette création, j’ai suivi le processus d’écriture de Côme de Bellescize, ses allers et retours, ses tâtonnements. La pièce porte une réflexion sur les cadres sociaux qui déterminent les actes immobiles de la jeunesse d’aujourd’hui.


J’ai été fascinée par les questions que pouvait susciter une telle commande d’écriture chez un auteur de théâtre. Comment attaquer le sujet, répondre à la question posée ? Comment également s’approprier l’énoncé, le faire sien, le rendre nécessaire ? Comment jouer avec les consignes, les détourner ? Version après version, le texte a bougé, s’est agencé différemment, a signifié d’autres choses, plus cachées, enfouies, ressorties non par prétexte mais comme par nécessité, comme marquées par la conscience d’une difficulté de dire les vérités du monde.


La pièce de Côme De Bellescize met en abîme sa situation d’écriture: un auteur rencontre des jeunes afin d’écrire une pièce sur eux, sur ce que lui-même appelle conceptuellement « la jeunesse ». Face aux vies qu’il écoute, le dramaturge est saisi par leur immobilité, leur manifeste inaction. Chacun d’entre eux formule à sa manière, dans le cadre de son existence, une incapacité d’agir, inhabilité non voulue ou non consciente. C’est au portrait d’une jeunesse réaliste, éclairée, informée mais profondément désespérée que fait face le personnage qui cherche à écrire. Quelle fiction naîtra de ces visages ? L’auteur peut-il, doit-il, donner un avenir à ceux qui refusent de s’en donner un eux-mêmes ? En quoi est-il engagé en tant qu’écrivain ? Quelle est sa mission ? Quel est le sens de son acte d’écriture et de son intérêt pour la jeunesse? Pourquoi et pour qui écrire sur la jeunesse ? Voici donc quelques questions que soulève la pièce.


La pièce Laisse la jeunesse est composée de trente-cinq très courtes scènes. Quatre fictions parallèles se déploient sans se contaminer, elles s’alternent à un rythme effréné. La vivacité de la dramaturgie et des dialogues conçus par Côme De Bellescize doit être portée par les acteurs et par un espace créé de manière à permettre un maximum de mobilité et de surprises.


Nous avons travaillé dans un premier temps à partir d’un dispositif circulaire (les spectateurs étaient repartis sur des gradins en deux arcs de cercle, autour d’un proscenium carré). Il me plaisait d’explorer les possibilités scéniques de ce texte en m’appuyant sur le caractère protéiforme de sa dramaturgie. Tout comme l’auteur de la pièce, nous observions le sujet – la jeunesse – sous toutes ses faces, toutes ses perspectives. Les acteurs apparaissaient, disparaissaient sous la scène, jouaient à différentes échelles. On ne pouvait jamais s’attendre à leur venue, ils devaient surgir de l’imaginaire de l’auteur comme imposés par la nécessité d’écrire. Il s’agissant d’une boite à fiction, une page blanche où tout est à rêver, à construire. Aujourd’hui, pour la création définitive de la pièce, nous choisissons de reprendre ces procédés mais en concevant une scénographie conçues sur un dispositif frontal. C’est l’objet du travail que nous devons mener dans les prochains mois, avec les scénographes Lorine Baron et Jimme Cloo.


Nous intégrons les fantaisies du texte, son univers fantastique, ses machines à dévisser les boîtes crâniennes, ses cafards,, son « heroic fantasy », ses armures, ses dragons, tout ce bric à brac imaginaire et farfelu qui fait de l’auteur un rêveur nostalgique prêt à toutes les incongruités pour reconquérir l’espoir (ou la jeunesse ?) d’un monde perdu dans ses brumes… Nous les développons et au fantastique moderne, nous opposons le merveilleux médiéval, ses danses macabres, ses quêtes, ses symboles... L’univers burlesque de Côme De Bellescize sort renforcé de cette confrontation au mythe, à la légende et aux mélancolies.


Par-dessus tout, nous entendrons la question de l’auteur: Est-il vraiment du ressort des auteurs de lire l’avenir dans les entrailles du monde ? Doit-on encore envisager les artistes comme des prophètes ? Ne peut-on pas comprendre autrement l’art et sa fonction ? Qu’échanger aujourd’hui avec ces jeunes qui ont donné leur temps et leur histoire au jeune auteur de théâtre...

Lena Paugam

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