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La Révolution des Escargots

Christelle Harbonn ( Conception )


: Origines

Depuis quelques années, je ne sais plus ce que signifie « ne rien faire » ; en revanche, je sais quelle angoisse me procure ces quelques mots. Cette angoisse est relative à une certaine honte sociale, l’utilité de chacun étant mesurée au nombre de ses actions, finalement quelles qu’elles soient. L’agir (qui dépasse les frontières du travail) apparaît aujourd’hui comme une valeur supérieure, comme si, faute d’agir, un individu s’exténuait et disparaissait.
À la question « Que fait untel ? », on ne pourrait récolter que ricanements ou consternation si l’on venait à répondre « il pense ». La rêverie « active » qu’évoque Gaston Bachelard dans Le droit de rêver (« Le repos de la nuit ne nous appartient pas. Il n’est pas le bien de nos êtres. Le sommeil ouvre en nous une auberge à fantômes. Il nous faut le matin balayer les ombres. Il y a aussi des rêveries qui veulent, des rêveries réconfortantes, réconfortantes parce qu’elles préparent un vouloir et soutiennent le courage au travail ») est boudée du monde contemporain, de gauche comme de droite. On lui préfère la procrastination, qui relève certes de l’oisiveté, mais qui se définit aussi par une série d’actions désordonnées et sans axe. Ces manœuvres dilatoires nous permettent de croire et de faire croire que nous agissons.
Dans tous les domaines, le monde nous somme d’accélérer toujours la cadence, quelle que soit notre fonction. Face à une situation politique désastreuse, il faut agir vite. Penser sans but pragmatique, rêver et revendiquer le droit de ne pas participer à la galopade générale sont considérés comme des formes désuètes de l’existence ; pour certains, elles sont apolitiques et scandaleuses.
Pourtant, à l’heure où l’utopie de la décroissance fait de plus en plus écho à tous ceux qui se lassent de brasser de l’air et de consommer trop, à l’heure où l’on commence à comprendre que notre inaptitude à être désœuvré s’apparente davantage à une tare qu’à une vertu, l’idée de révolution s’articule autour de nouveaux concepts : réapprendre la lenteur du faire au bénéfice de la pensée et de la rêverie ne peut-il pas être une forme de révolte personnelle, pouvant se traduire in fine par une révolution sociale ?
Enfin, lorsqu’un problème ne trouve pas de solution dans l’action, que faisons-nous de cette impuissance ?
Quelle action face au deuil ? Quelle action face à la maladie ? Quelle action face à l’amour impossible ? Quelle action face à la solitude ? Quelle action face à la répression ?
Je ne sais répondre à aucune de ces questions. Parce que j’en suis incapable et parce que j’éprouvais le besoin de me donner un embryon de réponse, aussi subjectif soit-il, je me suis mise à rêver d’une communauté humaine dont les individus seraient débarrassés de la pression sociale du surfaire mais acculés à la question de leur impuissance. Impuissants face à une situation nouvelle, peut-être dramatique, qu’ils ne savent pas comment affronter, et qu’ils n’affrontent d’ailleurs pas vraiment ou très lentement, et sans frontalité. J’ai aimé appeler ces personnages des escargots. Je voudrais qu’ils m’apprennent l’exemplarité de leur lenteur, qu’ils soient les mentors d’une nouvelle révolution.

Christelle Harbonn

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