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Accueil de « La Princesse au petit pois »

: Entretien avec Édouard Signolet

Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française

Un conte


Bien que l’imaginaire collectif rende grâce au conte, la lecture approfondie de l’oeuvre nous met face à une autre évidence : nous sommes devant un anti-conte qui laisse un arrièregoût de canular. L’oeuvre d’Andersen ne correspond en aucun cas au schéma classique du conte. Le héros-prince a effectivement une mission, mais cette mission est absurde : le prince cherche une vraie princesse, mais à aucun moment Andersen ne définit ce qu'est une « vraie » princesse. Le protagoniste veut plus que tout quelque chose qui n’a pas de critères, pas de contours.
De plus, le prince n’a ni adjuvant (parrain, animal, objet magique) pour lui venir en aide ni opposant (ogre, sorcière, dragon) à combattre : il n’a pour ennemi que son insatisfaction. Il ne trouve au bout de son chemin aucune réponse, c'est la solitude et l'abattement qui dominent alors. Incapable de trouver la vraie princesse, il tombe dans la passivité, la mélancolie, faisant de lui un anti-héros.
L'inversion des valeurs du conte atteint son apogée avec la résolution : la princesse au petit pois arrive alors à lui dans un état épouvantable, méconnaissable en tant que princesse, et c’est la reine mère qui entreprend l'acte héroïque du conte en découvrant la vraie princesse grâce à un procédé absurde et avilissant : « …puisque, à travers vingt matelas et vingt édredons, elle avait senti le petit pois.
Personne ne pouvait avoir l'épiderme aussi délicat, sinon une véritable princesse. » Le petit pois devient ainsi le héros du conte en révélant le vrai. Bien loin d’être un objet merveilleux, le petit pois, simple légumineuse, atteste la noblesse de la princesse en la blessant et assure la pérennité de l’ordre monarchique.
Cet ordre est ainsi rétabli dans la douleur.
Cette oeuvre critique aussi le fantasme d'une pureté royale selon laquelle des êtres valent mieux que d'autres. Les personnages d'Andersen en deviennent paranoïaques : tout est toujours remis en question au nom du vrai, la peur de l'usurpation royale rôde « surtout si l’on est aveugle et que les escrocs sont habiles » (cf. Les Habits neufs de l’empereur). Ce climat est renforcé par la répétition obsessionnelle du mot « vrai ». À force d'entendre ces quatre lettres, elles ne signifient plus rien.


L'adaptation
Conforme au conte d’Andersen, l'adaptation projette un éclairage cynique sur ce monde fait de codifications absurdes où il n’est jamais question d’amour (Andersen n’a luimême du reste jamais trouvé « la princesse »). On parle de lignée, d’hérédité, les personnages sont enfermés dans leurs rôles monarchiques, c'est d'ailleurs pour cela qu'ils n'ont pas de prénoms dans notre version de l'histoire, ils ont des rôles sociétaux, et ne veulent surtout pas en sortir. On parle d'un monde clos, qui se nourrit de lui-même et reste sur lui-même. Le conte ne fait d'ailleurs jamais allusion au monde extérieur et les domestiques sont absents de cette oeuvre, ce qui de surcroît raconte l'appauvrissement de ce cercle royal. Dans ce royaume, c’est le roi lui-même qui doit aller ouvrir les portes de la ville et la reine qui fait le lit.
Dans un deuxième temps, l’adaptation cherche à rétablir le conte là où il n’est pas.
Contrairement à la version qu’avaient voulu en donner les frères Grimm, Andersen laisse les lecteurs libres d’imaginer son parcours jonché d’échecs. D’ailleurs, face au laconisme du texte original (tout au plus quelques lignes), nombre d’adaptations proposent une succession de princesses toutes aussi cocasses les unes que les autres. C’est sur ce point que l’adaptation que nous avons réalisée pour la Comédie-Française est étoffée, permettant également à travers quelques figures archétypales de revenir à ce que l’on peut nommer « conte ». Notre prince effectue un parcours initiatique explicite, il n’est plus évacué, il subit des épreuves, croise des personnages qui le mettent en péril : même si ce sont des princesses, elles ont toujours un double visage à la fois séduisant et monstrueux.
La Princesse au petit pois n'est pas uniquement l'histoire de cette jeune fille sensible, c'est aussi l'histoire d'un jeune homme dans l'impossibilité de satisfaire un désir.


La mise en scène
La mise en scène intègre l’absurdité omniprésente dans le conte. Les personnages au nombre de seize seront interprétés par les quatre acteurs. Seul le prince, figure stable de l'adaptation ne variera pas. Son parcours devient alors un labyrinthe angoissant où il est condamné à retrouver constamment les mêmes figures. Le procédé de transformation a pour effet de mettre en exergue une mécanique redoutable où tout est faux, alors que les personnages affirment le contraire.
Cette mise en scène plonge le spectateur dans un monde où tout se dédouble, se multiplie et s'interroge. À chaque royaume parcouru par le prince correspond un nouveau spectacle. C'est la somme de ces spectacles qui va créer l'unité. Se construisant et se déconstruisant à vue, cet ensemble donne une vertigineuse impression, celle d'un monde instable où tout peut basculer d'un instant à l'autre.
La scénographie est pensée sur le même modèle de transformation : un espace unique, mais qui, à l’aide de simple cubes, permettra de faire surgir d'autres mondes. Tout dans cette démarche scénographique tend à sublimer l’absurdité de cette quête. Les mondes se transforment, mais l'espace ne change pas, les personnages sont différents mais les acteurs restent inchangés. Le prince ne voyagera de façon concrète qu’autour de lui-même et de ce monde clos.
Je souhaite que ce spectacle soit aussi cruel que jubilatoire. Je souhaite qu’il interroge la place de l'humain pris au piège d'une mécanique redoutable, celle que l'humain s'est lui-même imposée.

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