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La Pluie d'été

+ d'infos sur le texte de Marguerite Duras

: Présentation

L’histoire


Les parents, c’étaient des étrangers qui étaient arrivés à Vitry, depuis près de vingt ans, plus de vingt ans peut-être. Ils s’étaient connus là, mariés là, à Vitry. De carte de séjour en carte de séjour, ils étaient encore là à titre provisoire. Depuis, oui, très longtemps. Ils étaient des chômeurs, ces gens. Personne n’avait jamais voulu les employer, parce qu’ils connaissaient mal leurs propres origines et qu’ils n’avaient pas de spécialité. C’est à Vitry aussi que leurs enfants étaient nés. Grâce à ces enfants ils avaient été logés. Dès le deuxième, on leur avait attribué une maison dont on avait arrêté la destruction, en attendant de les loger dans un HLM. Mais ce HLM n’avait jamais été construit et ils étaient restés dans cette maison, deux pièces, chambre et cuisine, jusqu’à ce que - un enfant arrivant chaque année - la commune ait fait construire un dortoir en matériau léger séparé de la cuisine par un couloir. Dans ce couloir dormaient Jeanne et Ernesto, les aînés des sept enfants. Dans le dortoir les cinq autres.
Le problème de la scolarisation des enfants ne s’était jamais sérieusement posé ni aux employés de la mairie ni aux enfants ni aux parents. Une fois ceux-ci avaient bien demandé qu’un instituteur se déplace jusqu’à eux pour enseigner à leurs enfants mais on avait dit : Quelle prétention et puis quoi encore ? Voilà, ça s’est passé comme ça.
Ernesto était sensé ne pas savoir encore lire à ce moment là de sa vie et pourtant il disait qu’il avait lu quelque chose d’un livre brûlé. Ernesto disait que c’était vrai, qu’il ne savait pas comment il avait pu lire sans savoir lire. Il était lui-même un peu troublé. Après, l’instituteur était venu voir les parents pour leur dire d’envoyer Ernesto à l’école et sa sœur aussi, qu’ils n’avaient pas le droit de garder à la casa des enfants aussi intelligents et qui avaient une telle soif de connaissance... La mère avait dit qu’un jour ou l’autre tous seraient séparés de tous et pour toujours. Que d’abord, entre eux, tôt ou tard il se produirait des séparations isolées. Et qu’ensuite, ce qui en resterait, à son tour se volatiliserait. Voilà, c’était la vie ça. Voilà, seulement la vie, rien d’autre que ça. Que quitter les parents où aller à l’école c’était pareil.
Ernesto était donc allé à l’école municipale de Vitry sur Seine. Pendant dix jours Ernesto avait écouté l’instituteur avec une grande attention. Il n’avait pas posé de questions. Et puis dans la matinée du dixième jour Ernesto était revenu à la casa.


Marguerite Duras




Le commencement


En septembre 2004, j’ai entamé un travail avec des jeunes gens des environs. A ces adolescents que je découvrais dans les odeurs, les murs, les couloirs de leurs écoles, j’ai apporté La pluie d’été comme matériau de notre aventure commune. Quelques temps après, des conseillers d’éducation m’ont proposé “d’intervenir” auprès d’enfants “à problèmes”...
J’ai repris avec ces jeunes le fil de ma propre histoire avec la pluie d’été, que m’avait fait connaître Eric Vigner lors d’un projet avec l’académie expérimentale des théâtres.


Les mots, les parfums, les questions qui avaient traversé la naissance de “Mario et Lyse” reviennent en écho : Le fossé, le dehors, l’autoroute, la dépossession, l’autre, le déséquilibre...
D’autres s’y ajoutent : L’enfance surtout, frère et sœur, et le premier amour qui nous a fondé, le magma familial, les séparations...


Et il y a cette phrase que dit Ernesto :
“M’man, je retournerai pas à l’école parce que à l’école on m’apprend des choses que je sais pas.”
Marguerite Duras dit que cette phrase est difficile à comprendre, mais qu’elle est absolument vraie. Elle dit qu’Ernesto refuse le savoir car le savoir ne remplace jamais la connaissance.
C’est un des mystères agissant de ce texte. C’est aussi une énergie qui impulse bon nombre de mes tentatives théâtrales, sans qu’il me soit toujours évident de le formuler.


Poursuivre ma route vers un travail qui choisit le fragile, le déséquilibre comme premières nécessités. Aller avec les acteurs jusqu’à ce point de nous-même qui nous met au bord du vide, au bord des larmes, au bord du rire.


Toute cette eau qui part dans les rires mouillés et qui prend naissance dans le bleu des yeux de la mère. La pluie d’été ce serait comme un flot en nous, toujours prêt à déborder.


Ici, il y a du don
Ni calcul, ni malveillance
Des choses offertes, jusqu’au désarroi.
Il y a des décalages
Des rencontres d’univers tellement étrangers les uns aux autres
Des rencontres qui provoquent un rire inextinguible.
Ici, la langue est alerte, vivante
Mais c’est aussi dans le temps du silence
Que s’expriment la compréhension, la connaissance...
Il y a la lumière qui irradie d’Ernesto et Jeanne
Des brothers et des sisters.


Marie-Pierre Bésanger




Note d'intentions


Un plateau vide
Une pièce de tulle, mobile, permet d'isoler des scènes, des fragments, crée un autre espace visuel


Une lumière qui déréalise
Les corps des acteurs qui se dessinent un peu comme sur une toile de Hopper
Inventer une présence électrique sur le plateau, une réactivité exacerbée des uns aux autres
Penser à l'aimantation, au mouvement et aux polarités des atomes, aux attractions célestes
Les mouvements, parfois, évoquent une chorégraphie


Le son travaille à donner les sensations de l'été, de la chaleur
On entend les mouches
Plus loin, un orage approche, peu à peu
Une pluie naîtra dans la scène où Jeanne et Ernesto parlent de leur séparation, et s'achèvera à la fin de la pièce
Les enregistrements originaux de Laurent Sassi (Créateur sonore) existent déjà depuis l'été
Le son est utilisé ici comme décor
Nous sommes tantôt dehors ou dedans
On entend au loin l'autoroute et l'on sent que l'on est un peu en retrait de quelque chose qui a lieu ailleurs
Un endroit protégé, un endroit au bord, l'appentis des enfants


Il y a les binômes
Père et fille, Mère et fils, Père et Mère, Frère et Sœur
Toute chose agit, les mots comme le silence résonnent en chacun, comme des cellules d'un même système
Le silence écrit est toujours vivant, ce n'est pas un silence qui attend les mots, c'est un silence qui en dit d'autres, un silence musical


La part de récit du texte sera là. Elle sera certainement traitée en voix off, voix d'un enfant, voix de l'instituteur
Voix extérieure, comme absente
La voix présente est celle des scènes, simple, vive, engagée dans les corps


Et puis il y a les enfants, Ernesto et Jeanne, qui seront joués par des enfants ayant l'age supposé des rôles. Cette solution m'a semblé la plus radicale pour donner à entendre le texte de Marguerite Duras, notamment dans son insoutenable légèreté.


Marie-Pierre Bésanger

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