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La Nuit des rois

mise en scène Jacques Vincey

: Note d’intention

La nuit des rois est une formidable mécanique de théâtre qui explore les zones troubles du désir et de l'identité. Les jeux de l’amour, les méprises et les quiproquos, y révèlent la puissance des faux-semblants et la fragilité des certitudes.
Comme dit Feste, le bouffon, rien n’est de ce qui est.
Dans ce monde des apparences, l’illusion révèle la vérité des personnages et le comique, leur tragédie comme l’envers du décor : le théâtre est véritablement le piège où Shakespeare attrape la conscience des hommes.


L’histoire de la pièce est difficile à résumer tant elle est riche en péripéties et en rebondissements. Deux intrigues s’entrelacent, jouant sur l’antithèse de la raison et de la déraison, du spirituel et de l’absurde.
Orsino, Olivia, Viola et Sébastien jouent et se jouent la comédie de l’amour: ils s’écoutent et se regardent aimer dans un chassé-croisé romanesque dont le public est témoin et complice. Ils se cherchent et se perdent dans la forêt de leurs désirs conscients et inconscients, se débattent comme des insectes dans un vivarium.
Toby, Andrew, Maria, Malvolio, Fabien, sont engagés dans une lutte plus âpre, en prise directe avec la réalité de l’argent et du pouvoir. Sous des dehors burlesques, ils ont des rapports brutaux, et parfois même cruels qui révèlent des sentiments de haine et des désirs de vengeance.
Feste le bouffon n’est impliqué dans aucune des deux intrigues : son esprit brillant et acerbe met en perspective personnages et situations. Son statut de « corrupteur de mots » le condamne à une fantaisie sans illusion.


Du lyrisme au burlesque, de l’intime à l’épique, de l’étrange au banal, Shakespeare glisse sans cesse d’un registre d’écriture à un autre. Comme dans les rêves, il échafaude d’improbables fictions et joue avec les paradoxes pour faire affleurer l’inconscient et laisser deviner l’invisible. Ainsi, le travestissement de Viola en Cesario, qui est au coeur de la pièce déclenche-t-il une tempête de pulsions et d’affects confus et inavouables.
Derrière les masques se cachent des êtres piqués de mélancolie, rongés de narcissisme. Des personnages déchirés entre leurs professions de foi proclamées et les tendances secrètes de l’âme ou de la chair.


La nuit des rois se situe dans le prolongement de mes précédents spectacles qui revendiquaient la théâtralité comme un postulat de départ.
Shakespeare inscrit sa « comédie des comédies » dans un pays légendaire, l’Illyrie. Il nous place d’emblée dans un espace intermédiaire entre songe et réalité – un espace de théâtre - et nous rend complices de ses personnages qui vont progressivement nous entraîner dans la fiction. Avec une liberté et une insolence jubilatoires, il saute allégrement du raffinement compassé des amoureux à la truculence rabelaisienne de la suite d’Olivia. Il nous bouscule d’un univers à l’autre. Les couleurs sont franches, saturées. Les esthétiques et les codes de jeu s’entrechoquent.


« Si la musique est nourriture d’amour, joue encore… » La célèbre réplique du Duc, qui ouvre la pièce annonce l’importance qu’auront la musique et les chansons dans cette histoire. Feste, en raison de son statut d’amuseur, en est le principal dépositaire. Mais Toby et Aguecheek chantent volontiers avec lui et Orsino est mélomane… Dans l’élan de Mme de Sade, je souhaite m’entourer d’acteurs qui soient aussi chanteurs et musiciens afin de pouvoir inventer avec eux des variations, fugues et contrepoints qui prolongent et enrichissent le parcours des personnages. Shakespeare, en son temps, a beaucoup pillé ses contemporains pour construire ses intrigues et les inscrire dans une réalité qui soit partagée par le plus grand nombre. Cela n’a en rien entamé son exigence, ni écorné son génie. Son écriture embrasse toute la vie et nous invite à « faire théâtre de tout » sans nous soucier de bon ou mauvais goût mais en nous attachant à restituer cette légèreté et cette intelligence qui permettent de s’infiltrer en profondeur dans les failles et les fissures de l’âme humaine.

Jacques Vincey

octobre 2008

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