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La Griffe

mise en scène Anne Bisang

: Une odyssée sauvage dans le swinging-London

Tout commence dans les décombres de l'après-guerre dans le sud de Londres. Tiraillé entre un beau-père touché par la grâce de la lecture du Manifeste du parti communiste et une mère se réjouissant, au contraire, du triomphe de la société libérale, Noël Biledew, alias la Griffe, se forge un chemin de révolutionnaire atypique dans une Angleterre en pleine désillusion. Bâtard bigleux né dans la misère, renvoyé de l'école à 15 ans, Noël tente une revanche sur ses origines peu clémentes en s'imaginant un jour pouvoir tenir les puissants entre ses griffes.


Ecrite en 1975 dans la vague d'un théâtre contestataire britannique très fertile, la Griffe, offre aujourd'hui encore - aujourd'hui surtout - toute la verve vitriolée d'un théâtre libéré des tabous, aux contrastes violents, à l'humour cinglant, énergique et iconoclaste comme un tableau d'Andy Warhol ou de Roy Liechtenstein.


Truffée de références historico-médiatiques (le couronnement de la reine Elisabeth en 1953, les affaires politico morales du gouvernement Tory en 63. etc..) bibliques et musicales (d'Elvis Presley en passant par les Tornadoes, les Stones ou la Comédie musicale South Pacifique) l'épopée de Noël Biledew dans les milieux du proxénétisme prend au fil des scènes des allures de comic strip endiablé.


Nous sommes donc loin d'un théâtre social du constat et de la lamentation, même si les clivages sociaux, la crise des utopies collectives et les ravages d'une économie du " laisser-faire " sont au centre du débat.


Ici les questions sont posées dans toute leur brutalité avec la volonté affichée de mettre en crise les fondements de la morale et de l'héroïsme. Ce qui intéresse Barker, c'est l'effondrement des valeurs qui oblige les individus à vivre avec les règles qu'ils ont inventées eux-mêmes. Lâchés dans le champ infini des possibles, ses personnages sont dirigés vers les choix les plus contradictoires, manière pour l'auteur de provoquer une véritable expérience pour le spectateur.


C'est cela aussi qui me plaît chez Barker, ce souci du public, de l'action de son théâtre sur lui. Cette relation est au centre de son projet d'écriture. Dans La Griffe, les personnages s'adressent directement aux spectateurs, impliquant l'acteur dans sa fonction de médiateur poétique, partie prenante de l'expérience. " Odyssée ", tel est le sous-titre de la pièce. Celle de Noël Biledew bien sûr, celle du spectateur aussi. Sans oublier l'odysée éternelle du théâtre à laquelle La Griffe rend des comptes en traversant comme s'il s'agissait de les dépasser, trois formes du théâtre moderne : réalisme social, comédie du boulevard, théâtre de l'absurde.


C'est qu'en 1975, Barker était en route déjà vers la tragédie qu'il préconise aujourd'hui. Non pas la tragédie classique qui réaffirme les valeurs morales, mais au contraire une tragédie qui les fait éclater et qui permet au spectateur de s'interroger.

Anne Bisang

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