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L'Elégant profil d'une Bugatti sous la lune

+ d'infos sur le texte de Jean Audureau
mise en scène Serge Tranvouez

: Présentation

La Loire au solstice de l’été en l’an deux mille.
Gilles de Rais à genoux devant le fleuve reproche aux étoiles de le faire encore rêver.
Son intendant, François Prelati, essaie de le raisonner tandis qu’une barque – où Agnès Marine parle tout bas au petit Jean – traverse la Loire et s’immobilise auprès de la rive.
Gilles de Rais se ressaisit, alors. « Je veux cet enfant » dit-il. Et Agnès, sa pourvoyeuse, lui répond « Je vous le livre ».
Gilles de Rais est très riche.
D’habitude, il séduit ses jeunes proies en les promenant dans des voitures de grand sport.
Ainsi, ce matin, cette Bugatti à l’élégant profil sous la lune.
Ce Gilles de Rais qui vit à notre époque porte le même nom que le monstre de la légende.
Il va commettre lui aussi l’irréparable.
Il tuera Jean, tout à l’heure.
Mais comme…  « l’autre », il voudra se repentir. Cette fois, ce sera demain, dans la lumière de l’aube. Là – où la Loire est redoutable et si belle.


Jean Audureau




J’appartiens à la commission nationale consultative d’aide à la création d’œuvres dramatiques, à la DMDTS. Il y a quelques années, j’ai eu l’opportunité de lire pour cette commission L’Élégant Profil d’une Bugatti sous la Lune. Je ne connaissais pas du tout Jean Audureau à cette époque et cette première découverte fut comme un choc, pour moi. Il y eut, d’ailleurs, unanimité de la part des lecteurs pour distinguer ce texte.
Dès lors je me suis passionné pour l’œuvre complète de cet auteur et chaque nouvelle pièce que je lisais, confirmait à mes yeux, la richesse d’un univers très personnel et la beauté poétique d’une langue.


En 2002, Jean Audureau est mort. Nous lui avons rendu hommage à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. J’y ai dirigé la lecture de Hélène ; Jean-Pierre Vincent, celle de Katherine Barker. En entendant ces deux pièces simultanément il m’est apparu évident qu’elles devaient être montées ensemble.
Le projet d’un diptyque a germé et après un travail de recherche de deux années avec ma compagnie, la production de ces deux pièces a vu le jour. Nous avons créé Katherine Barker au Centre dramatique national de Reims, avant de reprendre la pièce au Théâtre de la Ville (Abbesses). Puis nous avons conçu, avec le même groupe d’acteurs, Hélène, au Centre dramatique national de Normandie.
Entre temps, j’avais dirigé une lecture de L’Élégant Profil d’une Bugatti sous la Lune au Studio de la Comédie-Française dans le cadre de « Premières lignes ». Ce travail s’est prolongé par un enregistrement à France Culture avec les mêmes acteurs que je continuais de diriger. Marcel Bozonnet prêtait sa voix à Gilles de Rais. Il a été immédiatement sensible à la poétique de cette pièce et à l’analyse dramaturgique que je pouvais en faire. Rendez-vous fut pris pour un spectacle futur.


Aujourd’hui, le projet se réalise. J’en suis heureux, car cette dernière pièce est probablement la plus belle, la plus circonscrite dans l’œuvre d’Audureau. C’est un texte testamentaire. Pour moi, c’est également l’accomplissement d’un voyage dans cette écriture et dans la tête d’un homme qui réhabilite la puissance du rêve.


S. T.




Dans sa dernière pièce, Jean Audureau convoque la figure de Gilles de Rais. Ce monstre légendaire accompagne ses rêveries depuis l’enfance et les passages près du château de Tiffauges.
Mais le héros que met en scène l’auteur n’est pas le tueur sanguinaire, que l’imagerie populaire assimilera à Barbe-Bleue. C’est un homme qui porte ce nom tristement célèbre, mais qui voudrait en finir avec la tyrannie du désir et l’appel du chaos.
Seulement, son « bras droit » Prelati et la rabatteuse Agnès Marine lui proposent un enfant exceptionnel, prénommé Jean, qui a une disposition particulière pour le rêve. Gilles va commettre l’irréparable et tout perdre, car sa fille Lèva va comprendre, avec ce meurtre, qu’il est l’ogre des contes de l’enfance. Elle se tuera après avoir révélé ce secret dans une lettre à son amant Léonce.


La tragédie pour Audureau naît toujours d’un mensonge et de l’inadéquation perpétuelle entre le rêve et le réel. Les victimes en sont toujours les enfants qui possèdent la puissance du rêve, convoitée par le monde adulte. Son Gilles de Rais devient donc un voleur de rêve, incapable d’en produire par lui-même. Il n’en est pas moins un dévoreur d’enfants. Mais l’auteur ne juge pas son héros. La pièce ne se place pas sur un plan moral. Pour lui, le monstre est celui qui « n’est pas au monde » ; celui qui est, d’office, écarté et qui vit tragiquement cet écart. Comme dans la tragédie antique, ce personnage dans « l’hubris » nous permet d’interroger notre propre folie et de redéfinir les tabous nécessaires à toute une société.


Serge Tranvouez Juin 2006




L’écriture d’Audureau est un espace qui emprisonne l’inconscient.
Gilles de Rais est le personnage de l’obscène. L’obscène, cet état, ce non-lieu au-delà de la scène, qui déborde, dépasse les limites de l’espace moral. L’obscène n’existe qu’à travers le monstre qui le donne à voir. C'est donc ce non-espace, ces scènes multiples et diffractées qu’il nous a été donné de trouver.


Un espace qui emprisonne l’inconscient de l’acteur, du spectateur grâce à des installations symboliques fortes. Ces symboles nous les tirons des quatre espaces de l’oeuvre et d’un territoire, la Loire :



- L’eau, l’onde, la Loire dangereuse et profonde, coulant sur un lit de sable ou de tourbe qui conserve les corps. L’eau du charnier gardée par l’animal mythique de cette région, l’anguille. Elle se pêche grâce au rebut de la forêt : les fagots formés de branches, jonchant la clairière. Ces fagots sont fourrés de tripes de porc puis jetés dans le fleuve. Relevés au bout de dix jours, ils sont remplis de ce presque reptile vorace, formant une chevelure gorgonesque.
- La berge, lieu incertain de l’échange monstrueux entre Agnès-Marine et Prelati, un ponton de bois qui surplombe l’onde.
- La clairière, une trouée au milieu de la forêt sauvage.
- Le parc, paysage aux arbres plantés qui délimite l’espace de Gilles de Rais.
- La chambre, meublée du lit, théâtre des cauchemars du monstre.


Un monde du reflet et de la diffraction :
Trois miroirs imprimés de branches recouvrent la totalité de la cage de scène. Ils diffractent l’espace, multiplient les points de vue. C’est un piège pour le regard, donnant à voir ce qui ne devrait pas être vu, nommant l’innommable.


Le plateau central, constitué de bois moussu, flotte au milieu d’une forêt miroir.
Un plateau aux multiples trappes qui s’ouvrent sur l’onde profonde, faisant apparaître le renard visiteur de la forêt, la fontaine ou le lit de Gilles de Rais.
Un lit poussé par les branches d’une forêt vindicative. Un lit surmonté d’un immense candélabre formé de fagots tirés du fleuve tout proche. Lustre aux mille lumières qui lorsqu’il monte dans les cintres forme la voûte céleste aperçue au travers de la canopée.
Le plateau plonge dans la salle, créant l’espace de la berge, sous laquelle nage dans deux grands aquariums, les anguilles qui attendent leur festin.


Jean-Christophe Choblet et Valérie Thomas
Juin 2006

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