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L'Amante anglaise

+ d'infos sur le texte de Marguerite Duras
mise en scène Michel Raskine

: Présentation

L'indicible, dit-elle …
Marguerite Duras par Jean-Louis Arnaud


Un jour, j'étais âgée déjà, dans le hall d'un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s'est fait connaître et il m'a dit : "Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j'aime moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté." »


Ainsi commence l'Amant, le roman qui valut, en 1984, à Marguerite Duras avec le Goncourt - le plus célèbre des prix littéraires français-, un tirage de près de trois millions d'exemplaires, des traductions dans une quarantaine de langues et un énorme succès mondial, amplifié par le film qu'allait en tirer Jean-Jacques Annaud. Etonnant visage, en effet, que celui de cette femme, et étonnant parcours que le sien, de la grâce sensuelle et troublante d'une jeune fille de l'entre-deux-guerres à la moue goguenarde et au regard de batracien du monstre sacré contemporain, les yeux provocants toujours grands ouverts derrière ses grosses lunettes.


« Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans, mon visage est parti dans une direction imprévue, écrit-elle encore... Ce vieillissement a été brutal. Je l'ai vu gagner mes traits un à un... Ce visage-là, nouveau, je l'ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore, bien sûr, mais relativement moins qu'il aurait dû. J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s'est pas affaissé il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J'ai un visage détruit... »


L'amour, la vie, la mort


La destruction. Un mot clé chez Marguerite Duras, qui se regarde dans ses romans, son théâtre et ses films comme dans autant de miroirs et s'identifie à son oeuvre au point de ne plus savoir ce qui est autobiographie et ce qui est fiction. L'amour, la vie, la mort. Comme tous ses personnages, l'auteur subit la loi impitoyable de la destruction, mais sa propre vitalité et son talent font qu'elle y trouve d'intarissables sources d'ivresse.


Etonnante Marguerite Duras ! Née en 1914, quelques semaines avant que n'éclate la Première Guerre mondiale, à Gia Dinh, Indochine, dans la banlieue de Saïgon. Son père, Henri Donnadieu - un patronyme qu'elle n'aime pas et remplacera par le nom d'un village du Sud-Ouest de la France d'où sa famille paternelle est originaire - enseigne les mathématiques et fait carrière au Tonkin, en Cochinchine et au Cambodge. Lorsqu'il est rapatrié en France pour des raisons sanitaires et meurt encore jeune, sa femme, Marie Legrand, née dans


une ferme de Picardie, décide de rester en Indochine avec ses deux fils et la petite Marguerite âgée de quatre ans.


Le voilà le personnage incontournable de la vie et de l'oeuvre de Duras : la Mère. Celle d'Un barrage contre le Pacifique (1950) que l'on retrouve trente ans plus tard dans l'Amant, toujours la même, entière, courageuse et obstinée jusqu'à l'absurde dans ses choix et ses partis pris, aimée et détestée, respectée et dénigrée à la fois : « Fille de paysans, elle avait été si bonne écolière que ses parents l'avaient laissée aller jusqu'au brevet supérieur, écrit Duras. Après quoi elle avait été institutrice dans un village du nord de la France. On était alors en 1899. Certains dimanches, à la mairie, elle rêvait devant les affiches de propagande coloniale "Jeunes, allez aux colonies, la fortune vous y attend." A l'ombre d'un bananier croulant sous les fruits, le couple colonial, tout de blanc vêtu, se balançait dans des rocking-chairs tandis que les indigènes s'affairaient en souriant autour d'eux. Elle se maria avec un instituteur qui, comme elle, se mourait d'impatience dans un village du Nord, victime comme elle des ténébreuses lectures de Pierre Loti [[Pierre Loti (1850-1923) : officier de marine et romancier impressionniste célèbre pour ses évocations des pays exotiques.]]. »


Devenue veuve, elle sollicite une concession au Cambodge, en se proposant de la mettre en valeur. Mais, trop naïve pour voir la corruption de l'administration et comprendre qu'il n'y a pas de concession cultivable sans dessous-de-table, elle perdra toutes ses économies et se ruinera en construisant des barrages pour protéger en vain ses rizières contre l'envahissement annuel de la mer.


Ecrire, envers et contre tout


Duras s'investira dans la littérature avec la même détermination et la même opiniâtreté que sa mère dans ses plantations d'Indochine ou, plus tard, en France, dans la viticulture et l'élevage. Mais avec moins de naïveté et surtout beaucoup plus de succès. Il est vrai que le tempérament et la fureur de vivre toute poétique qu'elle avait hérités de sa mère convenaient mieux à l'écriture de romans qu'à la culture du riz ou de la vigne.


On s'en rend vite compte lorsque Duras sort, en 1943, son premier roman, les Impudents, et l'année suivante la Vie tranquille, que l'écrivain Raymond Queneau, impressionné par ce jeune talent, fera publier chez Gallimard. Mieux encore, en 1950, lorsque paraît Un barrage contre le Pacifique, avec lequel elle rate de peu le prix Goncourt, dont l'écarte alors son engagement communiste. Car Duras, qui était arrivée en France à dix-huit ans pour y faire ses études, avait déjà beaucoup vécu : une licence en droit et un poste au ministère des Colonies. En 1939, un mariage avec le poète Robert Antelme, un enfant mort-né en 1942. Paris sous l'Occupation et les groupes de résistants.
Son mari arrêté ainsi que sa belle-soeur Marie-Laure, qui mourra en déportation. Antelme survivra et sera ramené de Dachau par François Mitterrand, qui avait introduit Marguerite dans la Résistance et accompagné les Américains à l'ouverture des camps.


Après la Libération, Duras adhère au Parti communiste français, qu'elle quittera en 1950, après le coup de Prague. Dans l'intervalle, aucune publication, mais la vente de l'Humanité et des activités de militante. La vie à trois aussi, avec Antelme et Dionys Mascolo. A trente ans, dans le bouillonnement créatif de l'après-guerre, Duras, qui voisine avec Sartre à Saint-Germain-des-Prés, est déjà une vedette de l'intelligentsia parisienne.
Mais, il lui faudra encore quarante ans, et pas mal de rides supplémentaires, pour devenir une figure mondiale des lettres et du cinéma.


Cette femme ne ménage jamais ni elle-même, ni les autres : au lendemain de sa mort, l'académicien-journaliste Bertrand Poirot-Delpech écrira dans le journal le Monde : « Lorsque ce petit bout de personne aux vastes lunettes et à la voix de lendemain de meeting fait de la résistance ou de la politique, lorsqu'elle croit au communisme, puis qu'elle l'exècre, lorsqu'elle tranche de faits divers, c'est avec ses tripes, sans retenue ni prudence. »


Duras ne connaît pas de frontières. Pour elle, il n'y en a pas entre les exigences du coeur, même les plus contradictoires. Pas plus qu'entre les caprices du corps, ou entre le vin et l'alcool, le whisky dans le Marin de Gilbratar (1952), le campari dans les Petits Chevaux de Tarquinia (1953) ou le vin rouge de Moderato cantabile (1958). Pas de frontière non plus entre le roman, le théâtre, le cinéma et le journalisme. Lorsqu'elle écrit Des journées entières dans les arbres (1954), elle en fait indifféremment un livre, une pièce, un film.


Duras ne maîtrise qu'une seule chose : l'écriture et ce « bruit » très particulier que font les mots lorsqu'elle les assemble. N'est-ce pas déjà beaucoup ? Tout ce qu'elle sent, elle l'écrit en enfilant les syllabes comme un artiste des perles. C'est avec l'oreille, plus encore qu'avec les yeux, qu'il faut lire ses livres ou voir ses films. Alors on ne s'étonnera pas qu'elle accouple « Hiroshima » avec « mon amour » [[Hiroshima mon amour, un film d'Alain Resnais sur un scénario et des dialogues de Marguerite Duras (1959).]], ni qu'elle ose proclamer « sublime, forcément sublime » le meurtre d'un enfant retrouvé noyé dans une rivière des Vosges - un fait divers qui fit couler beaucoup d'encre dans les années 80 - et que, sur des présomptions plus littéraires que juridiques, elle désigne abusivement la mère, Christine Vuillemin, comme la meurtrière [[« Sublime, forcément sublime » s'appliquait au prétendu geste de la mère sacrifiant, selon Duras, son petit Grégory.]].


Jean-Louis Arnaud




Le crime
Par Marguerite Duras


Le crime évoqué dans L'Amante anglaise s'est produit dans la région de l'Essonne à Savigny-sur- Orge, dans le quartier dit de "La Montagne Pavée" près du Viaduc du même nom, rue de la Paix, en décembre 1949.


Les gens s'appelaient les Rabilloux. Lui était militaire de carrière à la retraite. Elle, elle avait toujours été sans emploi fixe. Il y avait eu deux enfants, deux filles.


Le crime avait été commis par la femme Rabilloux sur la personne de son mari : un soir, alors qu'il lisait le journal elle lui avait fracassé le crâne avec le marteau dit "de maçon" pour équarrir les bûches.


Le crime fait, pendant plusieurs nuits, Amélie Rabilloux avait dépecé le cadavre. Ensuite, la nuit, elle en avait jeté les morceaux dans les trains de marchandises qui passaient par ce viaduc de la Montagne Pavée, à raison d'un morceau par train chaque nuit.


Très vite la police avait découvert que ces trains qui sillonnaient la France avaient tous ceci en commun: ils passaient tous justement sous ce viaduc de Savigny-sur-Orge.


Amélie Rabilloux a avoué dès qu'elle a été arrêtée.


Je les ai appelés les Lannes. Elle, Claire, Claire Lannes. Lui, Pierre, Pierre Lannes.


J'ai changé aussi la victime du crime: elle est devenue Marie-Thérèse Bousquet, la cousine germaine de Pierre Lannes, celle qui tient la maison des Lannes à Viorne.


Je crois que la peine d'Amélie Rabilloux a été considérablement écourtée. Au bout de cinq ans, en effet, on l'a revue à Savigny-sur-Orge. Elle était revenue dans sa maison, rue de la Paix. Quelquefois on l'a encore revue. Elle attendait l'autobus en bas de sa rue.


Toujours elle était seule.


Un jour on ne l'a plus vue.


A Savigny-sur-Orge personne ne se souvient plus. Le dossier du crime d'Amélie Rabilloux rejoint définitivement les Archives Judiciaires Nationales en Indre-et-Loire.


C'est dans la chronique de Jean-Marc Théolleyre que j'ai appris l'existence du crime d'Amélie Rabilloux. Le génial chroniqueur du Monde disait qu'Amélie Rabilloux, inlassablement, posait des questions pour essayer de savoir le pour-quoi de ce crime-là, qu'elle, elle avait commis. Et qu'elle n'y était pas parvenue.



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